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Un air de «Seigneur des anneaux» dans les Alpes bernoises

S’évader en terres elfiques sans quitter la Suisse, c’est possible. Comme sorties du «Seigneur des anneaux», les grottes de Saint-Béat, dans les Alpes bernoises, offrent un aperçu en Terre du Milieu

A l’image du vieux monastère, les grottes de Saint-Béat plongent les visiteurs dans l’univers elfique d’Elrond. — © Kalpana Kartik / Alamy Stock Photo
A l’image du vieux monastère, les grottes de Saint-Béat plongent les visiteurs dans l’univers elfique d’Elrond. — © Kalpana Kartik / Alamy Stock Photo

Au pied du massif bernois du Niederhorn, un vieux monastère s’accroche à la falaise. Comme sorti de l’imagination de Tolkien, le lieu évoque Fondcombe, demeure imaginaire des elfes. A l’instar du jardin d’Elrond, le complexe est souligné par des dizaines de petites cascades, qui jaillissent au bas de ses arches de pierre. Elles ruissellent le long de la pente pour aller se déverser dans le lac de Thoune, situé en contrebas. Entouré d’une végétation moussue, le bâtiment tarabiscoté est uniquement accessible par un chemin escarpé parsemé de pontons en bois. Il garde l’entrée d’un dédale de grottes, royaume souterrain où vivait un dragon.

Le dragon et le premier apôtre

Si on peut désormais visiter ce royaume souterrain, c’est peut-être grâce à saint Béat. «Arrivé dans la région il y a environ 1900 ans, raconte notre guide, saint Béat aurait été le premier apôtre de Suisse, envoyé d’Irlande au-delà des Alpes pour prêcher la bonne parole et convertir les Helvètes au christianisme.» Invité à s’établir sur place avec son disciple par les habitants, le saint homme ne veut pas faire peser sa présence sur la population et demande qu’on lui désigne une grotte environnante où habiter. «Un tel endroit existait justement, poursuit la guide, mais il était habité par un terrible dragon.» Contre l’avis des habitants, saint Béat décidait alors d’aller – seul – affronter la bête.

© Saint-Beatus Höhlen
© Saint-Beatus Höhlen

Au lever du jour, le prêcheur sans peur aurait donc traversé le lac en barque et gravi la montagne. Arrivé à l’entrée des grottes, le monstre crachant l’attendait. Tel Gandalf barrant le passage au Balrog dans la Moria, il aurait alors levé son sceptre en direction du monstre en lui intimant – au nom de Dieu tout-puissant – de vider les lieux. Impuissant face aux forces divines, le dragon aurait poussé un retentissant hurlement de rage, avant d’aller s’écraser dans le lac dont les eaux calmes – dit la légende – se seraient mises à bouillonner. Cet acte de bravoure aurait par la suite aidé l’homme et son disciple à évangéliser la populace, qui, ébahie par tant de force divine, embrassa le christianisme puis l’aida à construire une petite église ainsi qu’à s’installer à l’entrée des cavernes. Sa chambrette troglodyte, où il aurait résidé jusqu’à l’âge canonique de 90 ans, y est encore visible.

350 000 ans d’histoire

La légende de l’auguste Irlandais nous est parvenue grâce à Daniel Agricola, frère franciscain bâlois, qui la consigna en 1511. Sa version est toutefois remise en cause par les historiens. Saint Béat était-il véritablement le premier apôtre? Il se pourrait bien que non. Si les spécialistes estiment que l’homme a bel et bien existé et habité dans la région, il pourrait en fait plutôt s’agir du fondateur du cloître d’Interlaken, qui, devenu ermite près des grottes, fut ensuite sanctifié à sa mort. Cette alternative historique situerait l’authentique Béat plus d’un millénaire après sa légende. Mais les elfes ne sont-ils pas immortels? Seul un coup d’œil dans un palantir pourrait nous renseigner.

© DR
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Une certitude toutefois: avec ou sans dragon (mais sûrement avec), les spectaculaires grottes dissimulées derrière le discret monastère sont connues des hommes depuis fort longtemps. Formées il y a plus de 350 000 ans, plusieurs objets préhistoriques ont été retrouvés à leurs abords et les Celtes, qui considéraient les cavernes comme des lieux sacrés, seraient également passés par là. Devenus lieu de pèlerinage à la mort de saint Béat, les souterrains naturels ont été murés par la Berne réformatrice au XVe siècle. C’est l’ouverture de l’Oberland bernois au tourisme qui les fera ressortir de l’anonymat trois cents ans plus tard. Plusieurs hôtes prestigieux viennent alors contempler les stalactites, dont les poètes allemand et britannique Goethe et Lord Byron ou encore le très célèbre compositeur classique Richard Wagner.

Le signal des anneaux

En 1903, devant l’afflux de visiteurs étrangers, le directeur de l’office du tourisme de l’époque décide de monter une coopérative pour permettre au grand public de venir découvrir les beautés souterraines des grottes, dont les aménagements intérieurs ne cesseront de s’améliorer jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, un kilomètre de chemin balisé permet – avec ou sans guide – d’aller découvrir lacs souterrains, stalagmites millénaires et, qui sait, d’entrapercevoir furtivement Gollum polissant son «précieux» dans l’obscurité.Il pourrait toutefois ne pas être facile de débusquer la créature à moins de très bonnes connaissances en spéléologie, les grottes se poursuivant – sans lumière – sur 14 kilomètres à l’intérieur de la montagne. A moins que le Hobbit déchu ne se soit mis aux nouvelles technologies, puisqu’une partie des cavernes dispose désormais du wifi. Cet investissement technologique pourrait sans nul doute également s’avérer pratique pour donner l’alerte en Terre du Milieu si le dragon venait à ressurgir du lac.