Le Conseil fédéral doit examiner ce vendredi la mise en œuvre de l’article 121a «contre l’immigration de masse» et le résultat des discussions avec Bruxelles sur l’avenir des relations bilatérales. Il n’en faut pas plus pour que la presse alémanique, prenant ses désirs pour des réalités, titre sur «une solution à portée de main» avec Bruxelles. On en est loin, selon nos sources à Berne et dans la capitale européenne. Même si, effectivement, les discussions entre Suisses et Européens tournent autour d’une solution technique qui permettrait d’exclure toute renégociation de l’accord sur la libre circulation.

Comme Le Temps l’avait écrit en septembre (LT du 26.09.), «l’issue tournerait autour de l’article 14 de l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP), qui charge un comité mixte d’examiner les mesures sociales appropriées pour remédier à des difficultés sérieuses d’ordre économique et social». Ce comité mixte pourrait, dans des conditions de grandes difficultés, décider d’une suspension de l’accord sur la libre circulation, d’un plafond migratoire ou d’autres mesures visant à limiter l’installation de ressortissants européens en Suisse.

C’est ce que l’on désigne sous la notion de clause de sauvegarde. Les négociateurs suisses ont en effet de longue date repéré que la définition juridique des «difficultés sérieuses» bénéficie d’un flou juridique. On sait qu’Angela Merkel avait dit à Simonetta Sommaruga qu’elle pourrait soutenir une telle solution technique, mais après le référendum britannique, pour ne pas ouvrir la porte à une surenchère de la part de Londres.

L’avantage serait de ne pas nécessiter une renégociation de l’ALCP ni de remettre en cause le principe de la libre circulation intangible aux yeux des Etats membres de l’UE. L’inconvénient, du point de vue suisse, c’est qu’il ne permet pas de prévoir des plafonds ou contingents d’immigration. Il ne permet pas de remplir les exigences de l’article 121a.

Le problème, dit-on à Berne et Bruxelles, c’est que si effectivement le président de la Commission Jean-Claude Juncker est disposé à rapprocher les parties, il n’a de loin pas l’appui des 28 Etats membres. Et surtout pas des pays voisins de la Suisse. De plus, aujourd’hui, alors que les sondages renforcent la possibilité d’un «Brexit», d’un vote favorable à la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE, le climat s’est refroidi pour la Suisse. Même Berlin renâcle à l’idée de faire un geste pour la Suisse, qui pourrait être exploité par la Grande-Bretagne.

Il ne faut donc pas s’attendre à une ouverture de la part de Bruxelles avant mars 2016. Mais surtout, dit notre source européenne, «les Suisses s’illusionnent s’ils pensent pouvoir déterminer de manière semi-autonome les conditions ou plafonds de la clause technique». Or, l’UDC et économie suisse se seraient mis d’accord pour une clause prévoyant un plafond de 50 000 personnes par an. La méthode, davantage que le niveau, ne passera jamais pour les Européens. Or, comme l’a répété une porte-parole de la Commission, «toute solution technique» sera soumise à l’approbation des 28. Au passage, on peut tout de même relever que l’UDC est désormais prête, selon les déclarations de Christoph Blocher, à discuter d’une clause de sauvegarde, même sans plafonds ou contingents.

D’autre part, craignent les négociateurs suisses, tout ce qui pourra être accepté par les Européens pour faciliter aux Suisses l’application de l’article 121a risque de provoquer un retour de manivelle dans le cadre des négociations institutionnelles. Les Européens seront alors tentés de renforcer le rôle de la Cour de justice de l’UE dans l’interprétation des accords bilatéraux.

Le calendrier contraindra dès lors le Conseil fédéral et le Parlement à se lancer rapidement dans l’adoption de la loi d’application de l’article 121a, sans connaître la position éventuelle des Européens. Les députés n’ont guère d’autre choix que de plancher sur une loi d’application la plus compatible possible avec l’ALCP.

Il reste un an pour sortir de l’impasse européenne.