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Un avocat genevois n'échappera pas à un procès pour cyberpédophilie

Pris dans les filets de l'opération «Falcon», l'homme de loi conteste avoir intentionnellement téléchargé des images impliquant des enfants abusés.

C'était un des secrets bien gardés de la République. Pris dans les filets de l'opération «Falcon», un avocat genevois comparaîtra le 9 mars prochain devant le Tribunal de police. L'homme de loi est accusé d'avoir téléchargé de très nombreuses images pédophiles sur son ordinateur et mis à disposition films et clichés via le système d'échanges de fichiers en ligne (peer-to-peer ou d'égal à égal). L'intéressé, défendu par Mes Pascal Maurer et Yaël Hayat, conteste avoir volontairement sélectionné ce matériel.

S'agissant d'un membre du Barreau, la tradition voudrait que ce soit le procureur général en personne qui se charge du dossier. Ce d'autant plus que ce dernier a fait de la lutte contre la pédopornographie l'un de ses thèmes de prédilection, n'hésitant pas à prôner «une absence totale de pitié» et une volonté de mettre sur un pied d'égalité ceux qui abusent des enfants et ceux qui payent pour le voir (LT du 15.01.2003). Dans le cas d'espèce, le dossier a toutefois été délégué à un autre représentant du Parquet en raison des liens personnels qui unissent Daniel Zappelli à l'avocat mis en cause.

  • Acharnement dénoncé

C'est donc le procureur Claudio Mascotto qui s'est emparé de l'affaire. Au grand dam de la défense. Me Pascal Maurer, qui espérait éviter un procès public par le biais d'un classement ou d'une ordonnance de condamnation, n'hésite pas à dénoncer l'acharnement du magistrat. «Les faits sont suffisamment graves pour que ce cas soit renvoyé en jugement. Dans des affaires similaires, les prévenus ont comparu devant un tribunal et il s'agit de traiter cet avocat comme tout autre justiciable, ni plus ni moins», explique de son côté le procureur Mascotto.

La feuille d'envoi du Ministère public retient que l'homme de loi a souscrit dès le mois d'octobre 2002 de très nombreux abonnements à des sites pornographiques, dont plusieurs offraient des images d'actes sexuels avec des enfants, masturbations, fellations, pénétrations. Il aurait téléchargé ces représentations sur son disque dur durant deux ans. De même, il aurait recherché par des mots clés et à l'aide des navigateurs d'échange «Emule» et «Kazaa» des photos et des films mettant en scène des enfants. Ce matériel était ensuite rendu accessible à d'autres internautes utilisant le même programme.

Ce n'est toutefois pas le numéro attribué à son ordinateur lors de la connexion internet (adresse IP) qui a trahi l'avocat, mais bien sa carte de crédit, dont la trace a été retrouvée chez un fournisseur d'accès par les enquêteurs américains avant que la traque ne soit engagée dans 120 pays. L'homme de loi figurait ainsi au nombre des 400 personnes inquiétées en Suisse en septembre 2004 dans le cadre de l'opération «Falcon».

A Genève, quatre personnes ont été arrêtées, dont trois récidivistes et un étudiant en contact avec des enfants. L'avocat, comme d'autres suspects sans antécédents et dont l'implication se limitait alors à un numéro de carte de crédit, a été convoqué par le juge d'instruction afin d'éviter les désagréments d'une perquisition surprise.

Lorsque l'intéressé a appris les motifs de sa convocation, il a procédé à l'effacement du logiciel d'échange de fichiers ainsi que de très nombreux films, fragments de films et images totalisant plusieurs gigaoctets, Malgré cette manœuvre, relève le Parquet, une cinquantaine de films en cours d'enregistrement, ayant comme contenu principal des abus d'enfants, ont pu être retrouvés sur le disque dur, ainsi que d'autres photos.

-Cybervictime

L'avocat a admis cette tentative de destruction. «Il a pensé que sa fréquentation des sites gays l'avait peut-être conduit à stocker des images pédophiles et a voulu les effacer. Il a agi dans un état de panique et à un moment difficile de sa vie», relève Me Maurer. En substance, la défense soutient que l'homme de loi n'a jamais eu l'intention de chercher des représentations d'enfants et que celles-ci sont arrivées là à son insu. Présenté comme une sorte de victime de la cybermania par ses conseils, le prévenu plaidera son acquittement ou tout au plus une négligence. «Il sera démontré que tout un chacun peut se retrouver avec un ordinateur infecté par des photos immondes sans qu'il n'ait ni conscience, ni volonté», soutient Me Hayat.

La défense compte s'appuyer sur une expertise commandée par ses soins à un informaticien pour lancer un débat technique sur le caractère temporaire des fichiers et le fait qu'une majorité de ces photos était tout simplement invisible. L'enjeu de ce procès est d'importance pour le principal concerné. Le procureur n'a pas manqué de signaler l'affaire à la commission du Barreau, qui se saisira après le prononcé du jugement.