Pour revivre la dispute, notre grand débat: «Des entreprises comme Facebook pourraient fournir l’identité numérique suisse»
«La population veut un système basé sur une chaîne de confiance»
Il n’y a jamais eu de suspense ce dimanche. Dans les locaux bernois du bar et espace de coworking Effinger, les opposants au projet d’e-ID de la Confédération sont masqués mais leur sourire pointe. «On a l’impression que nos adversaires ont arrêté de faire campagne depuis un moment», estimait en matinée Benoît Gaillard, coordinateur de campagne pour le référendum en Suisse romande. A midi, les premières tendances annoncent déjà un non franc. Daniel Graf, créateur du site de récolte de signatures WeCollect et grand artisan de la fronde populaire, brandit les poings en l’air.
L'heure de déboucher le champagne pour le @e_id_referendum 🍾 pic.twitter.com/Z4HE0xbEog
— Boris Busslinger (@BorisBusslinger) 7 mars 2021
«A part Karin Keller-Sutter, personne ne soutenait vraiment ce projet avec détermination, estime le Bâlois. La population a besoin de pouvoir faire confiance à ses autorités à propos d’internet. Ce n’était pas le cas ici.» A ses côtés, Nuria Gorrite abonde dans le même sens. Critiquée pour son engagement dans la campagne référendaire, la présidente du Conseil d’Etat vaudois triomphe: «Le message du jour, c’est que la population veut un système basé sur une chaîne de confiance. Celle-ci doit être assurée par l’Etat et contrôlée par les élus. Et non confiée à des privés aux intérêts mercantiles. Le deuxième point important, c’est le principe de gratuité. La balle est dans le camp du Conseil fédéral, qui doit présenter un projet équitable, qui ne déclasse pas l’Etat en simple fournisseur de données, et qui protège ses citoyens en ligne.»
L’e-ID est morte, vive l’e-ID
Parti d’un comité citoyen formé de l’association Public Beta et de la Société numérique, deux groupes représentant les intérêts des internautes, ce référendum qui n’intéressait pas grand monde a fini par ratisser large. Le parti vert’libéral, les Verts, le Parti pirate, le PS et huit cantons (VD, GE, NE, SZ, ZG, BS, OW, SO) ont soutenu le camp du non, qui n’a cessé de prendre de l’ampleur. Face à eux, le Conseil fédéral et les partis bourgeois ont souvent paru empruntés.
Avant même que la défaite soit officialisée, les partisans du projet gouvernemental prenaient acte «avec regret» de leur déconvenue: «En rejetant la loi, la Suisse se prive d’une identité électronique gérée de manière autonome», communiquait en début d’après-midi Digitalswitzerland. L’Union suisse des arts et métiers (USAM) déplorait également «une décision qui marque un retour en arrière pour le développement de la cyberadministration et de la numérisation». Inutile de dire que le camp adverse n’a pas perçu la chose du même œil.
«Le refus de la loi sur les services d’identification électronique préserve la Suisse d’une nouvelle privatisation malvenue, soulignait l’USS. Ce résultat donne un signal clair: le démantèlement des services publics ne trouvera pas de majorité en votation populaire. Il s’agit dorénavant de prévoir le développement de nouvelles prestations dans le cadre d’un service public moderne et adapté aux technologies et aux défis contemporains.» De quoi celui-ci sera-t-il fait?
«Ne pas créer de blocage»
Conseiller national (Verts/FR) et cofondateur de l’agence web Liip, Gerhard Andrey esquisse une première réponse. «Nous allons proposer un projet alternatif dès la semaine prochaine, dit-il. Nous sommes d’ores et déjà en contact avec plusieurs partis et bureaux gouvernementaux. Je suis très optimiste sur nos chances de trouver un compromis. Personne ne s’oppose au projet de passeport en ligne.» Le projet alternatif devra être beaucoup plus clair, souligne le Fribourgeois. «Il faut que ces identifications soient délivrées par l’Etat. Que les technologies utilisées soient décentralisées. Et qu’il n’y ait aucun stockage de données, à moins que cela soit absolument nécessaire.»
En fin de journée, Karin Keller-Sutter a reconnu la défaite. Tout en restant combative: «Ce n’est pas parce que ce projet a échoué que le peuple veut pour autant une solution uniquement étatique», a estimé la conseillère fédérale. Soulignant que les progrès numériques du pays lui tenaient personnellement à cœur, elle a appelé groupes d’intérêt et partis politiques à «ne pas susciter de blocage futur» et annoncé que son département «présenterait au Conseil fédéral un nouveau document de travail sur le sujet ces prochaines semaines».