Dans sa nouvelle composition, le Conseil fédéral fera-t-il preuve, en 2019, de davantage de leadership qu’en 2018 et les années précédentes? Gerhard Pfister, président d’un PDC minoritaire depuis quinze ans, l’espère. Il s’était montré très critique dans une interview publiée dans Le Temps en décembre: «Nous avons actuellement le plus faible gouvernement de ces vingt dernières années», diagnostiquait-il. Les arrivées de Karin Keller-Sutter et de Viola Amherd à la place de Johann Schneider-Ammann et de Doris Leuthard vont-elles changer quelque chose? «J’attends de chaque conseiller fédéral qu’il agisse comme membre d’un collège et non comme représentant d’un parti. Il y a parfois une réflexion de blocs. Cela ne peut pas continuer ainsi», a-t-il confié au Temps vendredi en marge de l’apéritif des Rois organisé par le PDC.

Lire l'interview: «Nous avons le Conseil fédéral le plus faible depuis vingt ans»

Gerhard Pfister constate l’incapacité du gouvernement à mener les grandes réformes. Faute de soutien politique suffisant, la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) et la Prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020) ont échoué dans les urnes. Comme ce fut déjà le cas pour la mise en œuvre de l’initiative populaire de l’UDC «Contre l’immigration de masse», c’est ensuite le parlement et non l’exécutif fédéral qui a fait le travail pour sortir ces dossiers de l’ornière. Le Conseil des Etats a inventé la Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA), qui réunit sous un même toit le Projet fiscal 17, censé succéder à feu la RIE III, et une compensation sociale sous la forme d’une injection d’argent frais dans le fonds AVS. Et c’est le législatif qui a mis au point le dispositif de priorité des chômeurs à l’embauche en guise d’application de l’initiative sur l’immigration. «A chaque fois, le Conseil fédéral a laissé entendre que le parlement pouvait faire autre chose que ce qu’il lui proposait», regrette Gerhard Pfister.

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Décisions cassées par le parlement

Le dossier européen s’ajoute désormais à la liste. Avant Noël, le Conseil fédéral a décidé d’ouvrir une consultation sur le projet d’accord-cadre institutionnel. «Mais il a laissé plein de questions ouvertes. Il doit nous dire ce que coûte l’acceptation et le rejet de cet accord. Nous devons disposer rapidement d’un plan précis pour cette consultation. J’attends davantage de leadership de la part de l’autorité collégiale», demande-t-il. «Le Conseil fédéral doit être plus actif. Il a mis en ligne le texte de l’accord. C’est bien, mais il ne nous a encore transmis aucune proposition formelle. Sa manière de communiquer n’a pas créé les meilleures conditions pour mener un débat intérieur constructif. J’attends de lui un engagement plus ferme que durant la deuxième moitié de l’année 2018», complète le chef du groupe parlementaire, Filippo Lombardi.

L’année 2018 a d’ailleurs été marquée par des décisions imposées par la majorité PLR-UDC du Conseil fédéral, puis cassées ensuite par les Chambres fédérales. Premier cas: le gouvernement a décidé de modifier les critères autorisant l’exportation de matériel de guerre à destination de certains pays, faisant naître la crainte que des armes suisses puissent être utilisées dans des conflits civils. A la suite de l’acceptation par le Conseil national d’une motion du PBD, le gouvernement a fait marche arrière. Deuxième cas: il voulait renoncer à ratifier le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Mais les deux conseils ont accepté une motion de Carlo Sommaruga (PS/GE) qui l’invite à signer et à ratifier ce traité. Troisième cas: il a proposé de ne pas reconduire l’aide fédérale à l’accueil extra-familial des enfants. Mais le Conseil national et le Conseil des Etats ont pris une décision inverse: ils ont prolongé de quatre ans le programme fédéral d’impulsion et l’ont doté de 130 millions, ce qui permet de soutenir la création d’environ 60 000 places d’accueil.

Ignazio Cassis plus idéologique

Toutes ces décisions portent la marque du bloc PLR-UDC. Elles ont été possibles parce qu’Ignazio Cassis, qui a remplacé Didier Burkhalter à fin 2017, s’est montré plus idéologique que son prédécesseur neuchâtelois. Gerhard Pfister espère que l’arrivée de Karin Keller-Sutter fera souffler un esprit plus consensuel. Contrairement à Ignazio Cassis, à Johann Schneider-Ammann, à Guy Parmelin et à Ueli Maurer, elle apporte dans ses bagages son expérience de conseillère d’Etat (à Saint-Gall, de 2000 à 2012) et un sens plus affiné du compromis politique, qui devrait conduire le Conseil fédéral à se positionner plus clairement. La consultation sur le projet d’accord-cadre Suisse-UE constituera, de ce point de vue, un test majeur.