C’est donc sans les syndicats que Johann Schneider-Ammann, les organisations patronales et les cantons se sont réunis jeudi, lors d’une «réunion technique», pour discuter d’une possible adaptation des mesures d’accompagnement. L’idée, a rappelé le ministre de l’Economie mercredi soir, est de rechercher un compromis acceptable pour l’Union européenne (UE) et défendable en politique intérieure pour le contrôle des travailleurs détachés. L’UE souhaite que la Suisse reprenne la nouvelle directive sur les travailleurs détachés. Mais c’est trop demander, car le mécanisme de protection salariale est moins étendu que le dispositif déployé en Suisse depuis 2004 et renforcé à quatre reprises depuis cette date.

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Dans le viseur: la règle des huit jours, qui exige des entreprises européennes détachant des travailleurs en Suisse qu’elles les annoncent huit jours à l’avance. Ce délai avait été calculé en fonction du calendrier d’acheminement du courrier postal. Il partait du principe qu’un week-end était forcément inclus dans cette période. Pour les syndicats, en particulier l’Union syndicale suisse (USS) et Unia, ce mécanisme est intouchable. Pour Travail.Suisse, qui a aussi décidé in extremis de boycotter la réunion de jeudi, c’est moins clair. Dans une prise de position publiée mercredi soir, ce syndicat se disait néanmoins «ouvert» à des discussions futures, notamment «pour une procédure d’annonce numérique moderne».

Clause de sauvegarde pour les secteurs tendus

C’est précisément de cela dont Johann Schneider-Ammann souhaite parler avec les partenaires sociaux. A l’ère numérique, un délai de huit jours est-il encore pertinent? N’est-il pas envisageable de le raccourcir grâce aux possibilités offertes par internet, tout en maintenant le niveau de protection des salaires? Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) y réfléchit. Il n’est pas le seul. Dans un document de travail dont Le Temps a pris connaissance, deux collaborateurs du laboratoire politique vert’libéral ont esquissé un scénario.

Corina Gredig et Frédéric Maurer ont imaginé un système reposant sur deux piliers: le délai usuel d’annonce serait ramené à quatre jours pour les branches et les régions peu exposées, une clause de sauvegarde et le maintien d’un cadre temporaire de huit jours étant prévus pour celles qui comportent des risques d’abus. Le fonctionnement serait le suivant. L’employeur étranger annonce son travailleur détaché via une application mobile qui indique le canton, l’activité professionnelle et la branche dans laquelle l’ouvrier va venir travailler. «Grâce à un algorithme, cette application fournit les informations nécessaires aux commissions et aux contrôleurs. Le masque d’entrée devrait être le plus serré possible, de sorte que l’algorithme de contrôle des données permette de signaler en quelques secondes la mission de ce détaché à la commission chargée du contrôle dans la région et la branche concernée. La règle des huit jours est une relique du passé», insiste le Bernois Frédéric Maurer, 32 ans, ingénieur EPF en électricité qui se dit «passionné par la politique».

Une année 2019 bloquée

La clause de sauvegarde proposée par Corina Gredig et Frédéric Maurer s’inspire des travaux de l’ancien secrétaire d’Etat Michael Ambühl, qui avait élaboré une mise en œuvre diversifiée selon les régions et les branches de l’initiative contre l’immigration de masse. Dans les régions et les secteurs d’activité où le dumping salarial est un problème majeur, le principe des huit jours serait maintenu. Cela pourrait, par exemple, concerner le Tessin ou des secteurs particulièrement tendus comme la construction, l’hébergement ou le nettoyage, pour lesquels le Conseil fédéral a reconnu la nécessité de mesures de protection spécifique déjà en 2004.

Frédéric Maurer est convaincu que cette solution rendrait la détection des infractions plus performante. Il relève qu’elle répond aux vœux exprimés par les régions limitrophes les plus concernées par les travailleurs détachés, en particulier le Bade-Wurtemberg. Lors d’un concile économique qui s’est déroulé fin juin à Constance et qui a été suivi par la NZZ am Sonntag, les représentants de ce land du sud de l’Allemagne ont demandé des délais de contrôle plus courts, surtout pour les artisans et les prestataires de services informatiques. Ils ont aussi suggéré d’établir une liste des secteurs à risques. Mais comme les syndicats refusent d’en discuter, cette idée aura de la peine à faire son chemin.

Les chances de conclure un accord institutionnel avec l’UE avant la fin de l’année, comme on l’espérait de part et d’autre à la veille d’une année 2019 accaparée par les échéances électorales suisses et européennes et par le Brexit, paraissent désormais faibles. A Bruxelles, la porte-parole de la Commission européenne, Mina Andreeva, l’a confirmé.