Le temps presse. La Suisse n’a plus qu’un an pour résoudre la quadrature du cercle, soit mettre en œuvre l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» de manière compatible avec le droit européen. Et il ne lui reste que dix mois pour pérenniser l’accord sur la recherche dans le cadre du programme Horizon 2020. Pour signifier sa bonne volonté à Bruxelles, le Conseil fédéral souhaite signer sans tarder, soit si possible ce mois-ci, le protocole relatif à l’extension de la libre circulation des personnes (LCP) à la Croatie. Car, si l’enjeu factuel de ce dossier est mineur, voire dérisoire, le signal politique qu’il véhicule est majeur.

Rappel des faits: le 9 février 2014, la votation sur l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» provoque un effet domino qui tourne au jeu de massacre. Le peuple approuve un texte réclamant notamment l’introduction de contingents, laquelle est totalement incompatible avec l’accord passé avec l’UE sur la libre circulation des personnes. Quelques jours plus tard, la cheffe du Département fédéral de justice et police, Simonetta Sommaruga, fait donc savoir à la Croatie, le dernier membre admis au sein de l’UE, que la Suisse ne pourra pas signer un accord d’extension à la LCP alors que le peuple vient de signifier qu’il tient à limiter l’immigration. La réponse de Bruxelles est cinglante: l’UE suspend toutes les négociations en cours avec Berne.

Chiffres préoccupants

Premières victimes expiatoires de ce que d’aucuns ont appelé une «mini-clause guillotine»: les chercheurs, car la Suisse tient à participer comme membre associé à part entière au programme de recherche européen Horizon 2020. Pour limiter la casse, le Département de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) de Johann Schneider-Ammann trouve un accord avec Bruxelles. C’est mieux que rien, mais insatisfaisant sur deux plans. D’abord, la Suisse n’est associée qu’au premier – les bourses d’excellence scientifique – des trois piliers du programme, tandis qu’elle est reléguée au rang de pays tiers pour les deux autres piliers, touchant «la primauté industrielle» et les «défis sociétaux». Ensuite, cet accord ne porte que jusqu’à fin 2016.

Les premiers résultats de cette solution bricolée dans l’urgence sont connus depuis peu. Le Secrétariat d’Etat à la recherche (Sefri) vient de procéder à une comparaison des financements captés par les hautes écoles suisses lors du septième programme européen (2007-2013) – auquel la Suisse était pleinement associée – avec ceux obtenus jusqu’ici dans Horizon 2014-2020. Or, ce bilan intermédiaire est préoccupant, voire alarmant: en proportion, l’aide européenne aux institutions helvétiques a chuté de moitié, passant de 4,2 à 2,2%! Ce n’est pas tout: le Sefri déplore aussi un recul significatif – de 3,9 à 0,3% – du taux de projets assumé par une haute école suisse.

Ces chiffres traduisent le climat d’incertitude qu’a suscité l’onde de choc de la votation du 9 février 2014. A l’évidence, beaucoup de consortiums de projets européens se sont, depuis, formés sans la Suisse. C’est dire qu’à la tête des hautes écoles, on ne rêve que de revenir à la situation antérieure, soit à l’époque où notre pays était l’un des paradis de la recherche européenne. Lors du septième programme-cadre, la Suisse avait décroché des fonds pour 2,5 milliards de francs, alors qu’elle n’y avait contribué qu’à raison de 2,2 milliards.

Manifeste de Swissuniversities

Aujourd’hui, une nouvelle épée de Damoclès plane sur la place scientifique suisse: la deuxième initiative de l’UDC contre les étrangers criminels – soumise en votation le 28 février prochain –, dont certains points pourraient contrevenir au droit communautaire de l’UE. C’est la raison pour laquelle Swissuniversities, l’association regroupant les universités, les EPF et les hautes écoles, a publié hier un manifeste collectif dans lequel elle réitère l’importance d’être connecté au réseau européen. Voici deux ans, ces milieux s’étaient peu mobilisés contre l’initiative sur l’immigration. Aujourd’hui, ils ont tiré les leçons de cette passivité et se mobilisent contre cette initiative. «Celle-ci aurait des conséquences tragiques pour la formation et la recherche. La Suisse violerait des engagements en matière de droit international et dérogerait à l’accord sur la libre circulation des personnes», souligne Swissuniversities dans son manifeste.

Inutile de dire que l’approbation de cette initiative braquerait une fois de plus l’UE. C’est peut-être aussi dans cette optique que la Suisse veut désormais signer au plus vite le protocole de l’extension de l’accord sur la LCP avec la Croatie. Si le DFJP, qui pilote ce dossier, reste prudent et précise qu’aucune date n’est encore fixée, l’on se montre plus pressé aux départements de Johann Schneider-Ammann et de Didier Burkhalter: «Il est grand temps de faire un geste de bonne volonté envers Bruxelles», y souligne-t-on.


«Donner un signal positif à l’Europe»

Patrick Aebischer, président de L’École polytechnique fédérale de Lausanne

- En proportion, les financements captés par la Suisse jusqu’ici dans le cadre d’Horizon 2020 baissent de moitié par rapport au programme précédent. Est-ce un phénomène alarmant?

- Nous sommes tôt dans le processus d’Horizon 2020, mais ces chiffres sont effectivement inquiétants. Ils suggèrent que les chercheurs européens hésitent à inclure dans leurs propositions de projets de recherche des chercheurs suisses. 

Après le 9 février, l’inquiétude des chercheurs suisses sur leur mode de participation aux projets européens et sur leur droit de coordonner ces projets a probablement également contribué à ce déclin.

- Le recul du nombre de coordinations suisses est encore plus significatif. Est-il encore possible pour vos centres de recherche de décrocher un rôle de coordinateur de projet?

- Oui, formellement les chercheurs suisses peuvent coordonner des projets, mais on constate que cela ne s’est que très peu produit dans les faits, contrairement au passé.

- Souhaitez-vous que la Suisse signe rapidement le protocole sur la Croatie, soit avant de trouver un accord sur la LCP qui risque de prendre beaucoup de temps?

- Une signature prochaine par la Suisse du protocole sur la libre circulation des personnes avec la Croatie donnerait un signal positif à l’Europe, en particulier aux responsables du programme Horizon 2020. n Propos recueillis par M. G.