« Le débat européen a pris racine dans ce pays. Et désormais, la moitié des Suisses – qui l’aurait cru il y a trois ans encore? – sont persuadés que la coopération avec leurs voisins européens doit être intensifiée. Un mouvement populaire d’une telle ampleur ne pourra plus être ignoré, quel que soit le résultat du vote sur l’Espace économique européen. Les joutes négociatoires et la campagne référendaire de cet automne ont déjà changé la donne politique.

Ce revirement de l’opinion n’a pas été obtenu au terme d’un combat à la hussarde, malgré l’effet indéniable des dernières interventions dramatisantes. Dans les réunions politiques, à la télévision mais aussi dans les paroisses, les bistrots et les familles, la place de la Suisse dans une Europe qui se reconstruit a été réellement débattue, dans une optique qui dépasse largement le seul enjeu de l’EEE, et cela déjà bien avant la campagne proprement dite. La peur fondamentale de se fondre dans un grand ensemble, d’y perdre son identité et sa souveraineté a été affrontée. Le droit européen a été ausculté jusque dans ses plus petits détails. Au terme de cet exercice difficile, des centaines de milliers de femmes et d’hommes ont lentement passé du camp du non à celui du oui après avoir constaté l’indigence de la plupart des arguments des opposants. […]

Sans cette lente maturation, l’EEE n’aurait probablement pas la moindre chance d’être approuvé ce dimanche. Les accrocs de la négociation, qui ont retardé la manœuvre, auront de ce point de vue été profitables. Comme toutes les idées «élitaires», diffusées du haut vers le bas, le projet européen a besoin de temps pour trouver des appuis solides et durables. […]

La nature même du traité qui est soumis au vote ce week-end est peu propice aux déchaînements d’enthousiasme. Sa portée plus limitée que l’adhésion rassure. Mais personne n’ignore qu’il place la Suisse dans une position d’infériorité: elle n’aura pas voix au chapitre lorsque seront prises les décisions qui lui seront ensuite appliquées. Ce n’est donc en aucun cas une idéale «troisième voie» entre l’adhésion et l’isolement. Souhaitable à court terme, au nom de l’intérêt économique du grand marché auquel seul l’EEE donne accès dans un aussi court délai, le traité risque de mal supporter l’épreuve des ans. Le Conseil fédéral en est si conscient qu’il n’a pas jugé possible de le signer sans fixer parallèlement l’adhésion comme but de la politique européenne de la Suisse. Les autres gouvernements des pays de l’AELE, à l’exception de l’Islande et du Liechtenstein, sont arrivés aux mêmes conclusions. Ce cheminement empirique et qui peut paraître tortueux n’a pas facilité la compréhension des enjeux.

Ces contraintes n’ont donc pas brisé l’élan. Les opposants à toute forme d’intégration espèrent renverser la tendance dimanche. Il est peu probable qu’ils y parviennent, quel que soit le verdict du peuple et des cantons. […] Mais dans les deux cas, ce dimanche marquera un commencement plutôt qu’une fin. A condition que la Suisse du oui, désormais consciente de sa force, le dise avec conviction dès la semaine prochaine. »