Comme le rail, la route aura son fonds. Il s'appellera Forta, pour Fonds pour les routes nationales et le trafic d'agglomération. Si le Conseil national et le peuple confirment sa création, ce qui semble probable, il verra le jour en 2018 et succédera aux structures actuelles de financement routier.

Ces structures sont complexes. Il y a, d'un côté, le financement spécial pour la circulation routière (FSCR), sur lequel on stocke les recettes de la vignette autoroutière (375 millions), de la surtaxe sur les carburants (1,9 milliard) et la moitié de la taxe de base sur les carburants (1,5 milliard), l'autre moitié étant versée dans la caisse générale de la Confédération.

A côté de cela, il y a le fonds d'infrastructure (FI), en vigueur depuis 2008. Il est financé par le FSCR et est utilisé pour poursuivre l'achèvement du réseau des routes nationales, éliminer les goulets d'étranglement, soutenir des projets de mobilité dans les agglomérations ainsi que les routes de montagne. Il est doté de 20,8 milliards répartis sur vingt ans.

Le Forta a pour but de mettre un peu d'ordre dans tout ça. Il succédera au FSCR et au FI et ne sera pas limité dans le temps. Mais son envergure et son financement font couler beaucoup de salive et d'encre, surtout depuis que le peuple a refusé d'augmenter le prix de la vignette autoroutière de 40 à 100 francs en 2013.

Morges et un bout de Genève

Cet échec a eu une conséquence importante: les 400 kilomètres de routes cantonales que la Confédération avait prévu de reprendre et de financer avec les recettes de la vignette sont restés en mains des cantons. En Suisse romande, cela concerne la H20 entre Neuchâtel et Le Col-des-Roches, y compris les projets d'évitement du Locle et de La Chaux-de-Fonds, le tronçon Thielle-Morat, la route reliant Martigny au Grand-Saint-Bernard et Goppenstein-Gampel. Au total, cette reprise implique un coût supplémentaire de 305 millions pour la Confédération.

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Par ailleurs, cela laissait ouverte la question du nouveau contournement autoroutier de Morges, entre Villars-Sainte-Croix et Saint-Prex, un projet devisé à 3,5 milliards. Le Conseil fédéral a par la suite décidé d'intégrer ce dernier tronçon dans le Forta. Mais il a laissé les 400 kilomètres de côté, confiant au parlement la responsabilité de trouver une solution.

C'est ce qu'il a fait. Mardi, le Conseil des Etats a accepté à l'unanimité d'inscrire ces 400 kilomètres sur la liste des routes nationales, où ils rejoignent le contournement de Morges. Métropole lémanique, qui défend les intérêts routiers genevois et vaudois, salue la décision du Conseil des Etats, car «elle permet de répondre aux besoins importants de rattrapage sur les tronçons les plus chargés du réseau suisse», en particulier dans l'Arc lémanique.

Et la traversée du Lac à Genève? Si un projet est un jour suffisamment avancé, il pourra se faire sa place dans cette liste. Pour l'instant, le dossier est jugé «prématuré» à Berne et seuls l'actuel contournement allant de Bardonnex au Vengeron via l'aéroport ainsi que le petit bout d'autoroute allant du Vengeron à Genève-Lac sont inscrits dans le réseau national.

La menace de «Vache à lait»

Jusqu'en 2018, date prévue de l'entrée en vigueur du Forta, les travaux d'entretien et d'agrandissement du réseau national sont financés par le FSCR et le fonds d'infrastructure. C'est le cas des chantiers annoncés lundi par l'Office fédéral des routes (Ofrou). Une somme de 1,8 milliard sera dépensée cette année pour poursuivre la construction de l'A9 dans le Haut-Valais, de la Transjurane (A16) et du contournement est de Bienne ainsi que pour des travaux d'assainissement sur le contournement de Genève (A1), entre Vallorbe et Essert-Pittet (A9), sur les ponts lausannois du Flon (A1), entre Colombier et Cornaux (A5) et entre Montreux et Roche (A9). S'ajoutera à ces travaux le réaménagement de l'axe Vennes-Chexbres (800 millions), échelonné entre 2017 et 2025.

Le financement du futur Forta est mis sous pression par l'initiative populaire «Vache à lait», lancée par les milieux automobiles. Ce texte jusqu'au-boutiste exige que la totalité des 3 milliards que rapporte la taxe de base sur les carburants soit affectée à la route. Il priverait la Confédération de 1,5 milliard de recettes, une perspective qui rend le parlement nerveux. En feraient notamment les frais la formation et la recherche (350 millions), la défense (250 millions), le trafic régional (250 millions) et l'agriculture (200 millions). L'initiative vise à empêcher de renchérir le prix de l'essence pour financer les aménagements routiers.

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Vers une vignette électronique

L'objectif visé par la Commission des transports du Conseil des Etats, présidée par Olivier Français (PLR/VD), a été de concilier les besoins supplémentaires nécessités par la route et la menace constituée, à tort ou à raison, par l'initiative «Vache à lait». Elle a trouvé la solution suivante: la part des recettes de l'imposition des carburants sera relevée de 5% au maximum à la création du Forta en 2018 puis de 5% supplémentaires au maximum en 2020.

Cela représente une augmentation des moyens de 250 à 300 millions de francs d'ici à 2020. Celui-ci sera également privé des 400 millions que rapporte l'impôt sur les véhicules automobiles, qui sera entièrement versé au Forta. Selon ce scénario adopté par 30 voix contre 8 et 4 abstentions, la Confédération serait ainsi privée de 700 millions de recettes annuelles dès 2020, «l'équivalent d'une demi-vache à lait», persifle Konrad Graber (PDC/LU). Emmenée par Claude Hêche (PS/JU), une minorité a tenté sans succès de laisser les recettes de l'impôt automobile à la Confédération.

Le Forta recevra en sus une contribution annuelle des cantons de 60 millions, soit le double de ce qui était prévu lors de l'échec de la vignette. Et les automobilistes seront priés de payer 4 centimes de plus le litre d'essence ou de diesel. Etablie à 30 centimes depuis 1974, la surtaxe passera à 34 centimes. Cela rapportera près de 200 millions. C'est nettement moins que le projet initial de Doris Leuthard, qui avait parlé de 12 à 15 centimes en deux étapes.

Et la vignette? On n'en parle plus pour l'instant. Mais l'Ofrou est prié par une motion adoptée à l'unanimité d'étudier le remplacement du sésame autocollant par une vignette électronique. La question du tarif, qui reste fixé à 40 francs, sera examinée dans ce cadre-là. Le financement mis sur pied reste fragile, averti Doris Leuthard.