La détention administrative de personnes de « mauvaise vie » est une page sombre de l’histoire de Suisse. Mercredi, le Conseil national l’a reconnue en acceptant de légiférer sur la réhabilitation des victimes de telles mesures. Il ne s’agit que d’un premier pas car la question d’une indemnisation se pose déjà.

Jusqu’au début des années 80, des milliers de Suisses ont été internés de force sans avoir commis d’infractions pénales. Des gens de « mauvaise vie », comme ils étaient qualifiés à l’époque. Soit des marginaux sans travail ou encore des jeunes femmes qui ont eu le malheur de tomber enceinte hors du mariage. Les autorités voulaient les « rééduquer » en les plaçant par décision administrative dans une institution fermée, aux côtés de véritables criminels.

Depuis quelques années, de nombreux témoignages éclairent cette réalité longtemps occultée. Après les excuses officielles d’Eveline Widmer-Schlumpf et de Simonetta Sommaruga, un pas de plus a été franchi mercredi avec l’adoption par le Conseil national d’une loi sur la réhabilitation des victimes de ces mesures. Une loi très prudente. Elle reconnait l’injustice des placements administratifs, prévoit une étude scientifique, assure l’accès aux archives ainsi que leur conservation, mais exclut expressément toute prétention à une indemnisation. «Il n’appartient pas à la Confédération d’indemniser des personnes ayant subi des décisions prises à l’échelon cantonal ou communal», a expliqué le PLR Andrea Caroni. La gauche aurait souhaité faire ce pas. Elle y a renoncé afin d’être certaine du soutien d’une majorité de parlementaires pour ce premier acte politique.

L’UDC a malgré tout refusé la loi (acceptée par 142 voix contre 45). « Je me suis abstenu mais je comprends la position de mon parti, explique le Bernois Andrea Aebi. Le mal a été fait et rien n’y changera». Membre de la commission des affaires juridiques, le Genevois Yves Nidegger précise que «l’UDC n’applaudit pas ce qui s’est passé. Mais comme on ne réparera pas les torts subis en faisant une loi, autant ne pas la faire». Et d’estimer délicat et sensible de vouloir juger aujourd’hui de pratiques qui étaient courantes et admises naguère. L’UDC a également peur qu’une fois l’injustice reconnue, la question d’une indemnisation revienne sur le tapis, avoue le Grison Heinz Brand.

Car le débat n’est effectivement pourtant pas clos. « Ces placements ont eu et ont toujours des conséquences graves pour le développement personnel et professionnel des personnes concernées. Ils sont choquants et démontrent l’incapacité des autorités de l’époque à s’occuper de Suisses différents de la norme», estime la conseillère nationale socialiste Ursula Schneider-Schüttel qui espère qu’une solution financière sera trouvée. « Les pouvoirs politiques ne peuvent pas éluder leurs responsabilités pécuniaires car les préjudices sont là : les victimes n’ont pas pu suivre une formation adéquate, ils touchent aujourd’hui une rente vieillesse minimale», renchérit Susanne Leutenegger Oberholzer (PS/BL).

Et la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga veut également laisser cette porte ouverte. «Cette loi n’est pas un refus définitif et ferme d’aborder la question d’une indemnisation. Au contraire », a-t-elle dit. L’étude scientifique qui sera menée permettra d’établir les faits et d’aller plus loin sur cette base. Une table ronde regroupant différents interlocuteurs dont les associations de victimes émettra également des recommandations d’ici l’été 2014 et abordera l’aspect financier. Une initiative populaire pourrait également être lancée. « De nombreuses victimes sont âgées et vivent dans des conditions financières difficiles en raison des abus physiques et psychiques qu’elles ont subies, a réagi mercredi la Fondation Guido Fluri, une des associations de défense des victimes. Et de confirmer que si les politiques ne trouvent pas de solution rapide et simple, elle passera par les urnes.