Petra Gössi, 40 ans, est la seule candidate pour succéder à Philipp Müller à la présidence des libéraux-radicaux suisses. La discrète conseillère nationale schwyzoise, méconnue, est une tenante de l'aile conservatrice de son parti. Elle ouvre la porte de son bureau, dans l'antre de la société financière Baryon AG à Zurich où elle travaille comme juriste et livre, en allemand, sa vision du rôle de président de parti. L'élue ne maîtrise pas le français, mais promet de prendre des cours. Sur sa vie privée, rien ne filtre, ou presque: la politicienne qui vit à Küssnacht am Rigi et aime le sport au grand air, c'est ainsi qu'elle se ressource. Elle n'est pas mariée, mais elle vit en couple, sans enfant.   

- Le Temps: Pourquoi briguer la présidence du PLR?

- Petra Gössi: Je souhaite prendre davantage de responsabilité au sein du parti. Mon travail et mon éducation familiale m’ont enseigné l’importance de l’engagement. Lorsqu'on est élu au parlement, il faut pouvoir être prêt à faire ce pas.

- Vous êtes la seule candidate. Pourquoi ce poste est-il mal aimé?

- La fonction de président de parti est une grande responsabilité mais c’est aussi une chance. Et c'est un travail d'équipe: la représentation du parti repose aussi sur des vice-présidents forts. Ce n'est pas seulement un poids…

? Qu'est-ce qui vous attire dans cette fonction?

- Elle donne la possibilité d’influencer le cours des choses au sein du parti, mais aussi de se déplacer dans toute la Suisse. D’ailleurs je compte bien me déplacer en Suisse romande. Toutes les régions de Suisse doivent être représentées. 

- Mais vous ne parlez pas français…

- Je compte prendre des cours! Et je ne suis pas la seule représentante du parti, la Suisse romande peut compter sur des représentants forts comme les deux vice-présidents Isabelle Moret et Christian Lüscher. 

- On ne vous connaît pas. Cette discrétion est-elle compatible avec la fonction de chef? Comment envisagez-vous d’être soudain sous les projecteurs?

- Je suis d’un naturel discret c’est vrai, je réfléchis avant de m’exprimer et je ne suis pas du genre à fanfaronner. C’est aussi une qualité: je suis une personne sur qui on peut compter. Je pense que le rôle exposé de président de parti s’apprend dans l'action. Et être sous les projecteurs ne m’apparaît pas comme une difficulté insurmontable. 

- Au parlement, vous n’avez pas beaucoup d’interventions à votre actif…

- J’ai appris dans la presse que j’ai réalisé 16 interventions depuis mon élection en 2011, je n’avais pas compté! (rires) Ce qui est plus déterminant, c’est comment je travaille au sein des commissions. Ce travail, bien sûr, est peu médiatisé.

- Vous vous situez à la droite de votre parti, allez-vous donner une orientation plus conservatrice au PLR?

- Philipp Müller passait aussi pour un hardliner au début. Sous l’effet de la présidence, il a glissé vers le centre. Si je suis élue, je me recentrerai également. Le président d’un parti dirige une équipe, mais il n’est pas un dictateur. Son rôle est de dégager une ligne commune, puis de la représenter. Forcément, ses propres idées passent au second plan.

- Vous venez de Schwytz, un canton conservateur. Pouvez-vous représenter la ligne libérale-radicale nationale?

- Si je ne le pouvais pas, je ne me présenterais pas à ce poste. Je viens d’un canton catholique et conservateur et j’apporte mon bagage régional avec moi. Mais je ne vais pas exiger de l’ensemble du parti qu’il s’aligne sur mes positions. Différentes sensibilités peuvent coexister au sein du parti!

- Comment qualifiez-vous votre positionnement politique?

- Je suis clairement dans une ligne bourgeoise et opposée à un Etat fort. Je privilégie la responsabilité individuelle.

- Sur le plan des idées, vous êtes proche du futur président du PDC Gerhard Pfister. Envisagez-vous un rapprochement entre partis bourgeois?

- L'avenir le dira. Ce qui compte, c’est que nous portions les valeurs bourgeoises dans notre politique.

- N’y a-t-il pas un risque de confusion pour les électeurs PLR?

- Je ne perçois pas de danger de ce côté-là.

- Qu’est-ce qui vous différencie de l’UDC et du PDC?

- Nous sommes libéraux, ils sont conservateurs. Le PLR, avant de chercher des majorités, doit définir ses propres positions. Si les autres partis s’écartent de notre ligne libérale, nous devons nous en distancer.

- Quelle est votre position sur l’initiative du PDC «pour le couple et la famille»?

- Je suis contre. Le PDC a raison sur un point: l’imposition des couples mariés doit être réformée. Mais son initiative va trop loin et n'emploie pas les bons moyens. Nous devons supprimer la pénalisation du mariage du point de vue fiscal comme l'ont déjà fait un certain nombre de cantons. La solution passe par l'imposition individuelle. 

- Le mariage est-il aussi à vos yeux une union entre un homme et une femme?

- Cette définition est trop étroite et n’a pas sa place dans la constitution. Cela va à contresens de l’évolution de notre société.

- Êtes-vous favorable, alors, au mariage homosexuel?

- Non, car avec le partenariat enregistré, la législation suisse donne à mes yeux suffisamment de droits aux couples homosexuels. Je ne vois pas la nécessité de réformer le cadre légal.

- Votre position sur les relations entre la Suisse et l’Europe?

- Elle suit la ligne de mon parti. La volonté du peuple de limiter l'immigration, exprimée le 9 février 2014, doit être entendue, mais la Suisse doit à tout prix maintenir les relations bilatérales, indispensables à son succès économique. En revanche, je suis contre une adhésion à l'UE.

- Etes-vous comme Philipp Müller favorable à accorder la préférence nationale aux travailleurs suisses?

Oui, je pense que c’est une bonne idée. Dans une période d'instabilité économique comme celle que l’on traverse, nous devons soutenir l’emploi en Suisse.

- Comment peut-on concrétiser cette idée?

- C’est la responsabilité des entreprises de chercher d’abord de la main d’oeuvre en Suisse avant de se tourner vers l’étranger. 

- Quelle doit être l'attitude de la Suisse face à l'afflux de réfugiés en Europe?

- La  suisse doit accueillir les personnes menacées, cela fait partie de son devoir et sa tradition humanitaire. Elle ne peut pas en revanche accueillir les réfugiés économiques et doit clairement le signaler.

- Cette distinction n’est pas toujours aussi claire...

- L’administration doit faire la différence et mener les procédures rapidement.

- Vous vous êtes prononcée contre l'obligation pour la Suisse de se plier aux décisions de la cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Etes-vous favorable à l'initiative UDC «pour la primauté du droit Suisse»?

- Non, je suis contre cette initiative et je défends les principes des droits de l'homme. Ce que je critique, c'est la tendance des juges européens à élargir leurs prérogatives, également pour des questions de détail. 

- Votre activité professionnelle est-elle compatible avec le poste de président de parti?

- Je devrais réduire mon activité professionnelle, mais je tiens à garder un pied dans mon travail de juriste. Il m'apporte beaucoup en tant que politicienne. Avec une bonne organisation, je pense pouvoir relever ce défi.

- Les femmes libérales n’ont pas exprimé un soutien net de votre candidature. Pourquoi?

- C’est certainement parce que mes positions ne recoupent pas totalement les leurs. Je suis d’accord qu’il faut soutenir les efforts pour une meilleure conciliation entre vie familiale et professionnelle, mais je ne suis pas favorable aux quotas de femmes, ni au congé paternité.  

- Est-ce important que le PLR soit dirigé par une femme?

- Ce n’est pas une question fondamentale, mais c'est une chance pour le parti. C'est important que, dans ce monde dominé par des hommes, des femmes occupent des postes à responsabilité, sans être aidées par des quotas.

- D’où vient votre intérêt pour la politique?

Je viens d'une famille libérale. Mon grand-père l'était déjà, ainsi que mon oncle. Mon père avait commencé à s’engager au sein des jeunes libéraux. Plus tard, il s’est fait éjecter pour ses positions trop progressistes. Il s’est ensuite beaucoup impliqué dans la vie culturelle locale, à Küssnacht. L’engagement, qu’il soit dans les instances politiques ou associatives, est central à mes yeux et fait la force de la Suisse.