Un procureur des crimes de guerre claque la porte
Justice
Stefan Waespi, expert en droit pénal international et responsable de plusieurs cas de crimes de guerre au Ministère public de la Confédération, a démissionné fin janvier. Il laisse plusieurs enquêtes en cours

L’unité Crimes de guerre du Ministère public de la Confédération (MPC) est de nouveau dans la tourmente. Les affaires de Rifaat el-Assad et du général Nezzar verront un quatrième procureur se pencher sur elles en l’espace de quatre ans. Après le licenciement de Laurence Boillat et le court intérim d’Andreas Müller en 2016, c’est au tour de Stefan Waespi de jeter l’éponge, ainsi que l’a appris Le Temps.
Pression de la hiérarchie et manque d’indépendance
Selon notre enquête, cet ancien procureur auprès du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) était mécontent depuis un certain temps. La pression de la hiérarchie et le manque d’indépendance auraient eu raison de ses nerfs. En effet, comme Le Temps le révélait en novembre dernier, ces affaires, sensibles politiquement, sont classées orange par l’organe de contrôle interne du MPC. Du coup, pour chaque acte d’instruction, le procureur chargé du dossier doit faire remonter ses décisions à la hiérarchie.
Comme l’affirme une ancienne collaboratrice, la marge de manœuvre de Stefan Waespi était quasiment inexistante. «Lors de plusieurs réunions, on lui a fait comprendre que les cas de crimes de guerre n’étaient pas la priorité du MPC», explique cette ancienne fonctionnaire. Plus grave encore, les supérieurs de Stefan Waespi l’auraient mis sous pression, afin qu’il classe la procédure Nezzar. «La question n’était pas pourquoi il fallait classer, mais bien comment trouver un prétexte pour le faire», explique-t-elle.
Me Bonnant regrette
Avocat du général Nezzar, Me Marc Bonnant avoue sa surprise devant ce départ et dit regretter la perte d’un homme «aussi compétent que respectueux». L’ancien bâtonnier genevois ajoute: «Le problème, c’est que, pour chaque dossier qui sera repris, ce sont des mois et des mois de familiarisation qui seront nécessaires. Dans le cas où la justice déciderait par malheur de casser la décision de classement envers mon client, il ne serait pas jugé avant 2020!»
En plus de ces deux affaires, qui sont encore en suspens devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, le procureur Stefan Waespi laisse derrière lui la procédure Sonko, qui vise l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, emprisonné à Berne depuis plus d’un an. Une décision d’autant plus surprenante que le procureur avait lui-même déclaré espérer amener cette procédure en procès d’ici à la fin de l’année. L’avocat d’Ousman Sonko, Philippe Currat, est circonspect: «J’ai peur qu’il n’y ait pas assez de moyens attribués à cette unité. Le législateur n’avait pas prévu qu’il y aurait autant de cas nécessitant la compétence universelle. Du coup, les procureurs ont beaucoup de dossiers en même temps et leur stratégie sur les affaires s’en ressent.» L’homme de loi regrette aussi la perte d’un «spécialiste en la matière» et espère que son poste sera repourvu.
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Effectifs restreints
Pourtant, le manque de temps à disposition des procureurs de l’unité Crimes de guerre n’est pas un problème récent. En effet, il date de la réorganisation du Ministère public de 2015, qui a rattaché ce département à la division Entraide judiciaire. Depuis cette fusion, les effectifs de l’unité ont été systématiquement restreints. Une source au sein du Ministère public nous a déclaré avoir reçu comme ordre de la part de la responsable de la section, Lucie Wellig, d’accorder la priorité aux dossiers d’entraide. Une situation qui inquiète Philip Grant, fondateur de Trial International, une ONG spécialisée dans la traque de criminels de guerre. «Il est indispensable que l’unité puisse être distincte et spécialisée. Les dossiers d’entraide internationale n’ont rien à voir avec les affaires concernant des crimes de guerre ou contre l’humanité. Il y va de la crédibilité de la Suisse comme Etat dépositaire des Conventions de Genève.»
Contacté, Stefan Waespi nous a confirmé ne plus travailler pour la Confédération et déclaré n’avoir rien à ajouter. Selon nos recherches, ses dossiers seront repris par trois procureurs différents. Une information confirmée par le MPC, qui ajoute que des procureurs de la division Entraide judiciaire et Droit pénal international se répartiront les procédures en cours. Refusant d’entrer dans les détails concernant les raisons de son départ, il ajoute: «Le procureur a choisi de poursuivre son parcours professionnel dès le 1er février comme expert au profit d’une organisation internationale en Afrique de l’Ouest.»