Attaques physiques ou verbales, sentiment de dévalorisation, mise à l’écart: le racisme anti-Noirs est une réalité en Suisse. La Commission fédérale contre le racisme (CFR) en détaille les modalités dans une étude réalisée par la Haute Ecole spécialisée de Zurich et effectue ses recommandations. Les manifestations de ces discriminations sont multiples: difficultés d’accès à l’emploi, au logement, à la justice ou encore profilage racial.

Les 100 000 personnes noires vivant en Suisse ont plus de risque de se faire arrêter par la police que d’autres citoyens. Appelé «délit de faciès», ce phénomène «désigne le fait, pour des policiers, agents de sécurité ou gardes-frontière, de contrôler quelqu’un sans qu’il y ait aucune raison concrète de le soupçonner, par exemple uniquement en raison de sa couleur de peau. Généralement taboue, cette problématique est trop rarement abordée au sein des autorités en question», précise le rapport de la commission.

Racisme institutionnel

Les mobilisations contre les violences policières ont essaimé ces derniers mois. Dernière en date: une manifestation en l’honneur de Lamine Fatty, jeune Gambien retrouvé mort en cellule le 24 octobre dernier. Ces dérapages ne seraient donc pas le fait d’une minorité, mais le reflet d’un problème généralisé? «On part de très loin, estime Tarek Naguib, juriste et coauteur de l’étude. La police n’est pour l’instant pas prête à reconnaître sa responsabilité, ni le racisme comme un problème institutionnel. Ce déni est commun à la société suisse où la perception du racisme est très étroite. On le limite à une idéologie, un problème psychologique cantonné à des individus extrêmes. Le racisme structurel, lui, n’est pas reconnu.»

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Comment remédier à ce biais? La commission recommande notamment d’instaurer «de façon systématique des formations sur la problématique du racisme institutionnel et structurel dans les écoles de police et le corps des gardes-frontière». Pour Tarek Naguib, la sensibilisation n’est pas la seule mesure. «Il faut également des changements structurels dans l’analyse des pratiques, des changements de lois et de directives sur la définition du profilage racial et des conditions requises pour effectuer un contrôle.» Autre impératif: tenir des statistiques sur le délit de faciès, qui font aujourd’hui défaut.

L’accès à la justice constitue une autre pierre d’achoppement. «Actuellement, le droit anti-discriminatoire pour les Noirs n’est presque pas appliqué, déplore Tarek Naguib. Le manque d’organes indépendants compétents pour instruire les plaintes est également criant.»

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A Neuchâtel, le profilage racial est pris très au sérieux. «Nous consacrons un cours de sensibilisation à cette problématique, explique Georges Lozouet, porte-parole de la police neuchâteloise. Ceci en plus des enseignements sur la diversité culturelle, l’éthique et les droits de l’homme. Les recrues sont appelées à traiter tous les citoyens d’égal à égal et à ne pas tomber dans les clichés. Des rencontres policiers-migrants sont également organisées chaque année par le Centre interrégional de formation de police. Nous avons du reste à l’instar de notre société des profils variés au sein de l’école de police.»

«Réalité de la rue»

Pas question toutefois pour le porte-parole d’actionner le levier du racisme à tort et à travers. «Il faut tenir compte de la réalité de la rue: les petits revendeurs de drogue sont majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest et le risque zéro n’existe pas. En zone criminogène, la brigade des stupéfiants va cibler presque malgré elle. En cas de malentendu, des excuses seront bien sûr prononcées. Avant d’être racial, le contexte est avant tout criminel.»

Loin de se cantonner à la police, les recommandations de la commission touchent toutes les strates de la société. Les administrations publiques, les autorités judiciaires, le monde politique, les médias ou encore les centres d’accueil et de conseil aux victimes, tous sont appelés à «prendre au sérieux et à combattre le racisme ordinaire».