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Un symbole fort ou une icône récupérée?

C'est depuis le 1er août 1891 et l'institution officielle de la Fête nationale que la plaine mythique du bord du lac des Quatre-Cantons sert de lieu de célébration.

Cette année, pas de conseiller fédéral sur le Grütli, mais le conseiller national radical nidwaldien Eduard Engelberger. La symbolique prairie, qui se veut un havre de paix, attendait surtout plus de 300 extrémistes de droite, comme l'année dernière, mais également des extrémistes de gauche. Un élément nouveau qui pouvait laisser craindre des affrontements. «Nous nous sommes préparés de manière intensive», se bornait à déclarer le porte-parole de la police uranaise, Herbert Planzer, sans dévoiler l'importance du dispositif de sécurité, renforcé par le concordat de police de Suisse centrale. Un contrôle à l'entrée avait de nouveau été instauré pour les quelque 1000 visiteurs attendus. In fine, 450 extrémistes de droite se sont en effet rendus sur place, perturbant la manifestation par quelques chants. Les extrémistes de gauche étaient, eux, aux abonnés absents

Mainmise de l'extrême droite?

Si les conseillers fédéraux ont préféré le tout aussi champêtre «brunch à la ferme», ce n'est pas pour éviter les affrontements. Herbert Amman, le directeur de la Société suisse d'utilité publique (SSUP), qui organise tous les ans les célébrations, explique que la commission du Grütli de la SSUP désigne chaque année un locuteur d'un des cinq cantons représentés dans la commission. Ainsi, en 2000, c'est en tant que Lucernois que Kaspar Villiger avait été invité. Son discours avait été perturbé par la parade d'une centaine de skinheads. En 2001, Moritz Leuenberger décidait de ne pas y mettre les pieds, avant de céder à la demande du président tchèque Vaclav Havel. «Je le reconnais volontiers, c'est lui qui a eu l'idée de venir sur la prairie du Grütli. Et j'avoue que ce souhait m'a d'abord trouvé réticent. Car le Grütli est souvent utilisé pour une Suisse qui se referme sur elle-même, autour de ses vieux mythes. Vous m'avez rendu le Grütli, et je vous en remercie», disait alors Moritz Leuenberger au président tchèque.

L'année dernière, 300 ultras de droite s'y étaient montrés. Ce qui n'aide pas à redorer le blason de la prairie, de plus en plus considérée comme un îlot plus folklorique et nationaliste qu'un symbole de la Confédération. «Nous sommes en démocratie; si les gens veulent participer et qu'ils se tiennent correctement, alors ils peuvent venir», déclare Herbert Amman. Certes, reconnaît-il, ce qui apparaît comme une mainmise de l'extrême droite sur le Grütli fait «peur aux gens, c'est le grand problème. Mais, ajoute-t-il, ces extrémistes croient être les seuls et vrais patriotes. Quand on les rencontre individuellement, ils sont inoffensifs. Le problème, c'est le groupe.» Pourtant, il en est persuadé, le Grütli reste «un symbole très fort pour les Suisses d'aujourd'hui». Quant au fait que le Rütli alémanique devienne le Grütli dès qu'on arrive en Suisse romande, Herbert Amman subodore que c'est parce que les Romands n'ont accordé d'importance au lieu que vers 1820; ils auraient alors opté pour cette appellation. Le Röstigraben a vraiment la dent dure.

La légende veut que la Confédération helvétique soit née sur ce carré d'herbe surplombant le lac des Quatre-Cantons, lorsque les représentants des cantons primitifs, les conjurés d'Uri, de Schwyz et d'Unterwald, prêtent serment, le 1er août 1291, pour sceller une alliance contre les baillis étrangers de l'Empire des Habsbourg dans leurs vallées. «Nous voulons être un peuple de frères, ne pas nous rencontrer dans le besoin et le danger!» Une légende amplifiée par le personnage de Guillaume Tell, qui aurait rejoint les conjurés, et le drame écrit par Friedrich Schiller en 1804. Au XIXe siècle, le mythe est quelque peu malmené par la découverte d'une alliance écrite datée du 1er août 1291. Les trois représentants se seraient en fait retrouvés sur la prairie le 7 novembre 1307 pour renouveler un engagement signé 16 ans auparavant.

Folklore national

Quoi qu'il en soit, au XIXe siècle, la Société suisse d'utilité publique, organisme privé, achète le terrain pour empêcher la construction d'un hôtel et l'offre à la Confédération qui ne devra jamais rien y bâtir. Elle continue aujourd'hui à l'administrer. Le 1er Août est déclaré fête nationale en 1891, et le Grütli sert de lieu de célébration. Si la prairie a été le théâtre de symboles forts, comme le 25 juillet 1940, lorsque le général Guisan y rassemble l'état-major de l'armée, elle appartient plus aujourd'hui au folklore national. Ainsi, Elisabeth II d'Angleterre rejoignait l'endroit par bateau à vapeur en 1980. A Pâques 2002, 3500 jeunes chrétiens réformés s'y réunissaient pour «renouveler l'alliance avec le Dieu vivant qui a conduit à la création de la Confédération helvétique».