Un couple de touristes saoudiens, proche de la famille royale, se souviendra longtemps de ses dernières vacances estivales à Genève. En août 2015, une fine équipe a tenté de leur extorquer une rançon après avoir piégé monsieur en le poussant dans les bras d’une prostituée mineure et en filmant leurs ébats. Une intervention policière a rapidement mis fin à ce mauvais scénario. Trois hommes, impliqués dans l’organisation de ce chantage à la «sextape», comparaissent depuis mercredi devant le Tribunal correctionnel de Genève. Les plaignants, représentés par Mes Romain Jordan et Thomas Barth, ont été dispensés de l’audience.

Le plan maléfique

Cherif, Karim et Marco, de leurs prénoms fictifs, habitent en France voisine. Les deux premiers travaillaient pour le plaignant comme chauffeur et garde du corps au moment de concevoir leur plan maléfique. L’idée était de réaliser des images suffisamment embarrassantes pour que le Saoudien, un riche homme d’affaires habitué des séjours au bord du Léman et des relations tarifées, craigne pour sa réputation. La menace de diffuser la vidéo sur les réseaux sociaux ou de la remettre aux autorités devait le persuader de verser 1 million de francs.

Le trio a d’abord tenté de convaincre une première jeune fille, âgée de 16 ans, de participer à l’opération mais elle a refusé. Une autre, qui allait fêter ses 18 ans trois mois plus tard, a accepté de tenir le rôle de la prostituée mineure, a acheté une robe pour l’occasion et s’est postée à l’extérieur d’un bar où le Saoudien prenait un verre en compagnie de Karim. Accosté à sa sortie, le touriste a d’abord refusé la proposition avant de céder à l’insistance de la fille et de son ancien garde du corps, qui faisait baisser le prix du rapport jusqu’à 500 francs.

Deux hôtels distincts

Le client, qui disposait d'une chambre à l’Hôtel Bristol pour ses extras, alors qu’il occupait aussi une suite dans un autre palace genevois avec sa famille, s’y est rendu avec la jeune fille. Celle-ci devait prétendre être majeure (les images montrent qu’il lui demandera son âge et qu’elle dira 21 ans avec les doigts) et faire semblant de ne plus être d’accord pendant le rapport. Elle a tout filmé avec son téléphone portable et a remis la vidéo à ses comparses.

Marco a mis les images sur une clé USB et rédigé un message menaçant: «LISEZ MOI!!! Le 19.08.2015 entre 2h et 4h du matin, vous avez eu un rapport sexuel avec une jeune fille de 17 ans. Contactez-moi au… Si aucun contact n’est établi avant le 21.08.2015, l’intégralité des éléments seront remis aux forces de police suisse.»

Cette clé USB a été déposée à la réception de l’Hôtel Bristol. En découvrant son contenu, l’homme d’affaires, actif dans l’import-export, a tout raconté à son épouse. Cette dernière a pris les choses en main pour sortir son mari de ce guêpier. Au début, Karim, le garde du corps, était aux côtés du couple pour surveiller de près les événements. Lors d’un premier appel, Marco a menacé les touristes de les dénoncer à la police et de diffuser les images sur les réseaux sociaux. Karim leur disait qu’il fallait céder et payer, sinon leur réputation serait détruite et le mari aurait des problèmes avec la justice. Ils ont aussi fini par se méfier de lui.

Police avertie

Le couple a préféré déposer plainte pénale le lendemain. Il n’y avait plus qu’à attendre et faire tomber les maîtres-chanteurs dans une souricière. Après plusieurs appels et la réduction de la rançon à 200 000 francs, l’épouse est sortie seule avec l’argent, a pris un taxi, a fait un tour complet de l’hôtel et a attendu les instructions. Pensant repérer des inspecteurs en civil, les comparses ont coupé court à cette première transaction. Ils n’ont toutefois pas renoncé au plan et ont continué d’appeler tout en proférant des menaces contre les enfants. Ceux-ci ont été mis à l’abri par la police durant onze jours.

L’échange a finalement eu lieu le 2 septembre 2015 dans le lobby de l’Hôtel Four Seasons, là où la famille saoudienne était descendue. La rançon contre la vidéo. Les trois comparses devaient se partager la somme et donner une petite part de 10 000 francs à la mineure. Ils se sont fait prendre la main dans le sac. Plusieurs autres complices, au rôle moins essentiel, ont été condamnés par ordonnance pénale. Deux jeunes filles, celle qui a joué la prostituée et une amie qui l’a conseillée, ont été jugées par le Tribunal des mineurs. Enfin, la poursuite a été déléguée à la France s'agissant d'un quatrième protagoniste qui est parti en cours d'opération.

Moralité retrouvée

Les faits, décrits dans l’acte d’accusation de la procureure Olivia Dilonardo, sont pour l’essentiel reconnus par les prévenus. Cherif, un Tunisien de 37 ans, défendu par Me Timothée Bauer, est le seul à être encore détenu en raison de ses antécédents judiciaires et d’un risque de fuite. Il doit aussi répondre d’une série de vols.

Karim, un Français de 35 ans, représenté par Me Yaël Hayat, a été étudiant aux Etats-Unis, basketteur semi-professionnel avant de devenir éducateur spécialisé et surtout agent de sécurité. Il a travaillé dans des clubs et aussi, dit-il, dans la protection rapprochée «pour l'élite genevoise». Cherif le désigne comme l’inspirateur de cette brillante idée, car il connaissait les goûts du plaignant pour les très jeunes filles. Mais Karim conteste avoir tenu ce rôle de stratège, affirme ne pas avoir participé aux réunions préparatoires et assure que ce «double-jeu» lui pesait. «Au fond de moi, je voulais que cela s'arrête.»

Quant à Marco, un Français de 28 ans, conseillé par Me Valérie Lorenzi, employé occasionnel dans un club de fitness, il relativise sa participation et assure s’être retiré de l’affaire après la première remise de rançon avortée. «Je n’étais plus d’accord.»

Les prévenus doivent répondre de tentative d’extorsion, de violation du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues et d’actes d’ordre sexuel avec des mineurs contre rémunération (ainsi qu’une tentative du même genre). Tous trois s’excusent auprès du couple d’avoir ainsi troublé leur séjour. «Toute cette affaire, c’est mal», a déclaré Cherif.

Couple traumatisé

Après avoir passé dix étés à Genève, la famille saoudienne n’y a plus remis les pieds. Cette mauvaise aventure a beaucoup marqué le couple, précisent les avocats des plaignants. Le procès se poursuit jeudi avec l'audition des témoins de moralité et les plaidoiries.