Publicité

Un vigneron vent debout contre Franz Weber

Louis-Philippe Bovard à Cully s’opposait déjà à l’écologiste dans les années 1970. Il redoute «la disparition de nombreuses exploitations de Lavaux» en cas de «oui» le 18 mai

Louis-Philippe Bovard, le vigneron-encaveur est une référence de la viticulture vaudoise. — © Eddy Mottaz
Louis-Philippe Bovard, le vigneron-encaveur est une référence de la viticulture vaudoise. — © Eddy Mottaz

Louis-Philippe Bovard est un baron de Lavaux. A près de 80 ans, le vigneron-encaveur est une référence de la viticulture vaudoise. Après avoir dirigé le Comptoir suisse et l’Office des vins vaudois, ce juriste de formation a pris la tête du domaine familial en 1983. Cofondateur de la Baronnie du Dézaley, il a multiplié les démarches pour valoriser les vins de la région. Et combattu avec énergie toutes les tentatives de «mettre Lavaux sous cloche».

Dans son caveau de Cully, le vigneron à l’éternelle casquette de marin a accumulé tout le matériel de campagne contre l’initiative Sauvez Lavaux III, soumise aux Vaudois le 18 mai. Déjà opposé aux deux premières initiatives – il avait affronté Franz Weber dans un débat télévisé dans les années 1970 – il juge que le texte va «beaucoup trop loin». Comme le Conseiller d’Etat Philippe Leuba, il estime qu’un «oui» le 18 mai entraînerait «la disparition de nombreuses exploitations». D’où, explique-t-il, «la mobilisation inédite» de la quasi-totalité de la branche contre le projet.

Louis-Philippe Bovard estime que la mise en œuvre de l’initiative compliquerait encore la tâche d’une branche viticole déjà en grande difficulté. «On peut parler de crise. Le prix du kilo de chasselas vendu sur l’appellation Villette a par exemple baissé de 25% en cinq ans. Il était de 5,26 francs en 2009 et de 3,98 en 2013. En parallèle, les quotas de production ont baissé de 18%. Dans ces conditions, les vignerons qui ne vinifient pas leur raisin ne s’en sortent plus. Ils ne couvrent plus leurs frais de production.»

Car dans les 830 ha du vignoble en terrasse de Lavaux, produire du raisin coûte plus cher qu’ailleurs. Comme la mécanisation est souvent impossible, la plupart des travaux de la vigne se font à la main. «Les coûts de production à l’hectare avoisine les 45 000 francs, estime Louis-Philippe Bovard. Sur la Côte ou à Neuchâtel, on avoisine les 25 000 francs. Cela fait une sacrée différence.»

La situation pourrait encore se compliquer à l’avenir avec la remise en cause de l’épandage de produits phytosanitaires par hélicoptère, une pratique déjà interdite dans l’Union européenne (avec des dérogations, notamment en France). «Dans dix ans, on ne pourra plus le faire non plus en Suisse, prédit le vigneron. Cela augmentera encore nos coûts de production.»

Louis-Philippe Bovard reconnait que Lavaux s’est longtemps reposé sur ses lauriers. «Entre 1983 et 2000, nous avons vécu un âge d’or. L’ouverture du marché à la concurrence des vins étrangers, en 2002, a tout remis en question. En dix ans, la consommation de chasselas a reculé de 20%. Le choc est particulièrement dur pour Lavaux. Ici, c’est presque une monoculture.»

Le vigneron de Cully estime que de nombreux producteurs de raisins vivent sur leurs réserves. «Entre 50 et 60 exploitations vont devoir réaliser des investissements cumulés de 60 à 80 millions de francs ces 15 prochaines années pour adapter leurs équipements. Certains pour vinifier leur récolte et obtenir ainsi une nécessaire valeur ajoutée. D’autres pour pouvoir produire du rouge dans de bonnes conditions, ce qui est rarement le cas aujourd’hui. Sans oublier la construction de locaux de stockage, d’accueil et de vente. Pour cela, il est indispensable de pouvoir densifier les constructions dans le centre des villages.»

Des travaux qui, selon Louis-Philippe Bovard, seraient rendu impossibles par l’initiative. Le texte, rédigé précisément, stipule à ses articles 18 et 19 «qu’à l’exception des constructions souterraines toute construction nouvelle est exclue» dans les villages, hameaux et bourgs anciens. Des exceptions «de peu d’importance» peuvent être consenties «pour autant qu’elles répondent à des besoins avérés et prépondérants de l’exploitation viticole».

Louis-Philippe Bovard ne croît pas que les exceptions prévues par l’initiative permettent la transformation de la branche viticole. «L’initiative ajoute une couche de protection supplémentaire dans une situation déjà difficile. Je connais plusieurs projets d’extension de cave qui sont bloqués avec la législation actuelle.» Il rappelle que depuis 2013, tous les projets sont soumis à une commission ad hoc.

Le vigneron insiste sur le frein que mettrait l’initiative au développement de la mécanisation du vignoble de Lavaux. «Cela impose de modifier certains murs. Il faut construire de rampes verticales ou diagonales pour permettre un accès latéral aux chenillettes dans certains parchets difficilement accessibles. Le texte de l’initiative empêche totalement cette possibilité.»

Membre de la Mémoire des vins suisses avec son Dézaley Médinette, Louis-Philippe Bovard est convaincu que le chasselas a de l’avenir. «Il faut valoriser le produit et le cadre dans lequel il est produit.» Il salue à ce titre la décision du Grand Conseil de débloquer un crédit de 2,5 millions pour développer l’oenotourisme. «Il faut que Lavaux développe les chambres d’hôtes à l’image de ce qui s’est fait dans la Wachau autrichienne, également classé par l’Unesco, qui a en a créé des milliers en 20 ans. C’est en bougeant qu’on s’en sortira. Pas en transformant la région en musée.»