Réclamée par les principales organisations économiques depuis le début de l'année, la clause de sauvegarde a fini par trouver grâce aux yeux du Conseil fédéral. Mais l'enthousiasme reste mesuré. «Ce n'est qu'une réponse partielle à l'article constitutionnel sur la limitation de l'immigration. Il serait illusoire de croire qu'elle résoudra tous les problèmes», prévient la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga.

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Le Conseil fédéral a fait sien vendredi ce mécanisme de gestion de l'immigration lorsqu'un certain seuil est dépassé. Il confirme ainsi son attachement aux accords bilatéraux et à la libre circulation des personnes, dont l'importance économique est soulignée par un rapport du Secrétariat d'Etat à l'économie (seco). Mais de nombreuses questions restent en suspens jusqu'à ce que le parlement soit saisi d'un projet concret, ce qui n'interviendra qu'en mars 2016.

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Une «solution à l'amiable»

La première porte sur la motivation de l'UE, peu encline à créer le moindre précédent alors que la Grande-Bretagne a devant elle un vote crucial sur ce sujet, pour discuter d'un tel mécanisme. Vendredi, le Conseil fédéral a évité de prononcer le mot de négociation. Il parle de «solution à l'amiable».

Simonetta Sommaruga signale «beaucoup de bonne volonté» du côté de l'interlocuteur européen. Les discussions vont se poursuivre ces prochaines semaines. Le Conseil fédéral serait évidemment ravi de trouver un terrain d'entente d'ici à la présentation du message au parlement en mars prochain.

«Une solution est possible. Elle reposerait sur une interprétation commune d'un article de l'accord sur la libre circulation des personnes, ce qui éviterait de chercher à le renégocier», espère le ministre des Affaires étrangères, Didier Burkhalter. Une déclaration commune à ce sujet assurerait la sécurité du droit, ajoute-t-il. Et permettrait de débloquer l'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie ainsi que la participation de la Suisse au programme de recherche européen Horizon 2020, pense le Conseil fédéral.

Et que se passera-t-il si aucun accord n'est trouvé avec l'UE? Pour prévenir cette situation, le Conseil fédéral étudie en parallèle la possibilité d'actionner un mécanisme de freinage de manière unilatérale. «Ce serait conforme à la Constitution, mais moins sûr du point de vue juridique, car on ne sait pas comment l'UE réagirait et quelles mesures elle prendrait», concède Simonetta Sommaruga. Ce serait aussi plus fragile sur le plan intérieur, comme le montrent les réactions enregistrées vendredi.

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Comment cette clause de protection fonctionnera-t-elle? Le Conseil fédéral n'en divulgue pas les détails. Il les réserve pour ses interlocuteurs européens. Mais le principe de base est connu. Il s'agit de fixer un seuil d'immigration pour les ressortissants de l'UE et de l'AELE - ceux des Etats tiers restant soumis au régime des quotas. Si ce niveau est dépassé, des contingents sont imposés dès l'année suivante, le Conseil fédéral gardant la compétence de définir les types d'autorisations de séjour qui seront touchés. Avant de prendre sa décision, le gouvernement prendra en compte les «intérêts économiques du pays», comme le prévoit l'initiative de l'UDC. Et consultera une commission de l'immigration, qui devra être mise sur pied.

Le modèle Ambühl

L'hiver dernier, l'ancien secrétaire d'Etat Michael Ambühl, aujourd'hui professeur à l'EPFZ, avait développé un modèle qui avait retenu l'attention d'economiesuisse, de Swissmem, de Scienceindustries (pharma, chimie) et de l'Union patronale suisse (UPS). Il s'agissait d'établir un indicateur de migration sur la base de plusieurs paramètres économiques: solde migratoire, part d'étrangers, marché du travail, population active. Cet indicateur servirait à calculer un plafond d'immigration dont le dépassement ouvrirait la porte à l'imposition de contingents.

La clause de sauvegarde n'est qu'un élément de la réponse à l'initiative populaire acceptée en février 2014. Le Conseil fédéral concrétisera dans quinze jours d'autres dispositions visant à favoriser l'accès des plus de 50 ans et des femmes au marché du travail. Simonetta Sommaruga lie ce train de mesures à une autre exigence de l'initiative populaire, celle de la préférence nationale.

Le gouvernement souhaite encore restreindre le regroupement familial des migrants en provenance d'Etats tiers et exclure du droit à l'aide sociale «les étrangers qui ne séjournent en Suisse qu'aux fins de rechercher un emploi et les membres de leur famille».

En parallèle, le Conseil fédéral compte poursuivre ses pourparlers avec l'UE pour les aspects institutionnels. Didier Burkhalter précise que le Conseil fédéral privilégie toujours l'arbitrage de la Cour européenne de justice (CJUE) à celui de la Cour de l'AELE pour l'interprétation des accords bilatéraux en cas de différend.

Les discussions se poursuivent sur la portée de l'arbitrage de la Cour de justice. La Suisse ne veut pas qu'il soit contraignant pour elle. Un des points encore ouverts consiste à évaluer les effets d'un refus de se plier à une décision de la CJUE. Une nouvelle séance de négociation aura lieu avant Noël.