De l'extérieur, la compagnie de danse et de théâtre Interface, fondée et basée à Sion, a tout d'une bulle créative idéale. Jouissant d'un certain rayonnement, consolidé par de nombreux prix - dont celui du public 2014 au Festival Off d'Avignon -, elle célébrait ses 30 ans l'an dernier. Mais des témoignages, dévoilés ce samedi par Le Nouvelliste dans une longue enquête, dépeignent un tout autre tableau. Celui d'une organisation fonctionnant en vase-clos, dont les membres auraient été tour à tour manipulés, abusés sexuellement, exploités financièrement. 

Il y a Stéphanie Boll, danseuse et chorégraphe valaisanne. Victor, qui a intégré la troupe alors qu'il était encore collégien. Ou Marie-Noële Guex, vidéaste officielle d'Interface jusqu'en 2002. Au total, huit personnes décrivent des expériences similaires, remontant de 1995 à nos jours, qui évoquent une mécanique bien huilée. Des «dérives sectaires» vraisemblablement orchestrées par le fondateur d'Interface, André Pignat.

Chantage sexuel

Dès leur entrée dans la compagnie, ils décrivent dans les pages du Nouvelliste l'émerveillement, les promesses de ce lieu de création et de liberté, affranchi des conventions sociales et des carcans du capitalisme. Mais très vite, c'est la désillusion. Poussés à se détourner de leurs études, les jeunes recrues auraient été amenées à consacrer tout leur temps à la compagnie, sans rétributions financières - les créations d'Interface bénéficiant par ailleurs de subventions publiques.

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De plus en plus isolés, les ex-membres de la troupe racontent leur glissement sous «l'emprise psychique» d'André Pignat, une personnalité décrite comme manipulatrice contrôlant leur porte-monnaie pour le moindre petit achat.

Le fondateur réfute

Plus grave encore, l'enquête évoque des dérives sexuelles malsaines, allant jusqu'à l'agression sexuelle. Au sein de la compagnie, la sexualité serait omniprésente, pour satisfaire les fantasmes du fondateur. Les témoins mentionnent des questions intimes et des remarques déplacées, des rituels collectifs justifiés par un «discours spirituel». Des attouchements aussi, dans le cadre de voyages à l'étranger, voire du chantage sexuel. «Il y a une telle cohérence et une telle gradation dans la perversité que tu finis par tout accepter», explique Stéphanie Boll dans l'article.

Aucun des témoins cités par Le Nouvelliste n'a porté plainte. André Pignat, par l'intermédiaire de son avocat Me Guillaume Grand, a réfuté les faits, affirmant qu'il n'a «jamais eu connaissance de personnes marquées négativement et durablement par leur passage dans la compagnie.»