Une curieuse coalition contre le RFFA
fiscalité-AVS
Le camp du non au paquet fiscalité et AVS regroupe des forces que tout oppose ou presque. Passage en revue des camps en présence

Une bien curieuse coalition forme le front du non au paquet sur la fiscalité des entreprises et l'AVS, le RFFA, en vote le 19 mai. Elle est à l’image de l’hétérogénéité de ce projet qui allie fiscalité des entreprises et financement de l’AVS. On trouve là la gauche de la gauche, les jeunes UDC et les jeunes socialistes, les Vert’libéraux et les Verts, les petits patrons bernois et certains syndicats. Bref, des gens qui ont une vision bien différente du rôle de l’Etat. Leurs motivations à s’opposer à ce paquet sont du coup fort diverses.
1. L’opposition de gauche
C’est à gauche qu’on trouve l’opposition la plus résolue. Ce front rallie les troupes qui avaient déjà contribué en 2017 à l’échec du projet de réforme de la prévoyance vieillesse, à savoir la gauche de la gauche, le Syndicat des services publics (SSP), les Jeunes socialistes, le PS genevois. Les Verts sont venus s’y ajouter. C’est ce comité à forte coloration romande qui a réuni l’essentiel des signatures nécessaires au référendum.
«Le volet fiscal de ce projet est la sœur jumelle de la RIE III», soit la réforme de l’imposition des entreprises clairement rejetée par le peuple il y a deux ans (59,1% de non), justifie Agostino Soldini, secrétaire central du SSP. «Le projet va entraîner d’importantes pertes fiscales qui auront un impact en matière de service public», appuie Lisa Mazzone, vice-présidente des Verts.
Tous deux ne sont pas plus convaincus par les 2 milliards versés à l’AVS. «Ce n’est pas une compensation sociale, parce qu’il n’y aura pas 1 franc de plus pour les retraités», argue la Genevoise. «C’est un sparadrap en attendant la grande réforme de l’AVS, qui prévoit l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes.»
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2. Divisions syndicales et patronales
Ce projet suscite passablement de divisions au sein du monde ouvrier, au point que l’Union syndicale suisse (USS) a finalement opté pour la liberté de vote. C’est surprenant dans la mesure où son ancien président Paul Rechsteiner est l’un des sénateurs à l’origine du deal entre AVS et fiscalité. C’est l’opposition déterminée du SSP et d’Unia qui a conduit la faîtière à ce choix.
Dans le camp patronal, on pensait que ce serait l’union sacrée derrière ce projet, vu l’importance qu’il revêt pour la place économique suisse. Mais il y a là aussi des fissures, la plus importante venant de la section bernoise de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), qui recommande le non à ce qu’elle qualifie de mauvais marchandage.
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3. L’opposition de droite
A droite, l’opposition vient d’abord des jeunesses de partis. Un comité dit «des générations» regroupe des jeunes PLR, UDC, PBD et PVL. Ils en font une question de principe. Pour eux, c’est l’unité de matière qui est bafouée ici et la démocratie directe prise en otage. «Nous ne voulons pas de cette politique faite d’arrangements un peu hasardeux», proclame Marc Wuarin, jeune Vert’libéral genevois, l’un des rares Romands actifs au sein de ce comité.
Le Parti vert’libéral dans son ensemble milite aussi fermement contre ce paquet. «Tenter de boucher ainsi le trou de l’AVS va rendre d’autant plus difficile les réformes structurelles qui sont nécessaires», soutient sa vice-présidente Isabelle Chevalley. «On ne fait que repousser le problème et péjorer l’avenir des jeunes.»
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4. Les hésitations de l’UDC
Premier parti de Suisse, l’UDC ne sait pas trop sur quel pied danser dans cette votation. Elle n’a pas été associée au deal et son chef de groupe Thomas Aeschi l’a dénoncé et combattu avec virulence. Mais au final, plus d’un tiers des élus UDC l’ont soutenu, dont tous les Romands, à la suite de Jean-François Rime, le président de l’USAM.
«Le parti prendra officiellement position lors de l’assemblée des délégués le 30 mars», indique son secrétaire général, Emanuel Waeber. Si un probable non se dessine, l’engagement de l’UDC devrait rester discret, histoire de ne pas se fâcher avec les milieux économiques et de ne pas désavouer son ministre Ueli Maurer, qui porte le projet.
5. Le camp du oui patiente
Face à cette curieuse coalition du non, le camp du oui repose sur une alliance formée du PLR, du PDC et du PS, ainsi que l’engagement fort des milieux économiques. Il s’est fait discret jusqu’ici. Le président du Parti socialiste, Christian Levrat, s’en inquiète: «Cela va être une campagne difficile. Le PS est le seul à s’être engagé pour l’instant, avec le Conseil fédéral. Les partis bourgeois, en particulier les libéraux-radicaux, sont étonnamment absents.»
Le Fribourgeois est l’un des pères du projet qu’il défend bec et ongles: «L’opposition de droite est fondée sur une hostilité à peine cachée à l’AVS. Celle de gauche est incompréhensible. Nous avons là une occasion unique de financer notre système de retraite par le biais de recettes supplémentaires et non par des baisses de prestations.»
Vice-président du PLR, Christian Lüscher, lui, se montre serein: «De la gauche traditionnelle à la droite progressiste, il y a un socle solide qui soutient le projet. La campagne ne démarrera vraiment qu’après Pâques. C’est assez habituel que les opposants fassent du bruit et occupent le terrain en premier.»
Une manière de compenser aussi la différence de moyens financiers. Le camp du non table sur un budget d’une centaine de milliers de francs, indique Agostino Soldini, et s’attend à ce que les partisans injectent, eux, des millions dans la campagne.