Conseillère nationale de 2003 à 2011, Martine Brunschwig Graf préside actuellement la Commission fédérale contre le racisme. La libérale-radicale genevoise, cheffe du Département cantonal de l’instruction publique (DIP) de 1993 à 2003, s’oppose aujourd’hui à certains membres de son propre parti, comme Pierre Weiss, sur la question du port du voile à l’école.

Le Temps: Le Tribunal fédéral (TF) a récemment autorisé deux élèves thurgoviennes de confession musulmane à porter le voile en classe tant que cela n’est pas expressément interdit par la loi. Une semi-décision?

Martine Brunschwig Graf: On pourrait la qualifier comme telle mais l’essentiel, c’est cette référence au principe de proportionnalité faite par le tribunal. Les juges ont confirmé qu’une interdiction de port du voile était justifiée pour une enseignante (ndlr: le TF a, en 1997, tranché le cas d’une Genevoise en déclarant qu’elle ne pouvait pas porter le voile lorsqu’elle donnait ses cours). Pour les écolières, il s’agit donc d’une pesée d’intérêts et de s’interroger. Expulser les élèves portant le foulard est-il, par exemple, compatible avec le droit à une éducation et à une formation publique gratuite, garanti par la nouvelle Constitution genevoise? Comme citoyenne et comme présidente de la Commission fédérale contre le racisme, je suis impatiente d’entendre le TF sur cette problématique-là.

– Que craignez-vous?

– On prend le risque de confiner l’élève à la maison ou de voir se multiplier les écoles coraniques. L’instruction publique offre la possibilité à certaines jeunes filles, qui ne le pourraient normalement pas, de s’émanciper à l’âge adulte. Une élève vivant dans une famille fondamentaliste n’a d’autre chemin que celui de l’intégrisme si elle est, de surcroît, rejetée par l’école avant sa majorité. A ce titre, je salue l’action de Pierre Ronget (PLR), maire de Vernier et ancien directeur au DIP, d’autoriser le port du burkini dans la piscine communale et de favoriser ainsi l’intégration.

– N’est-il pas problématique de ne pas avoir une législation claire et unifiée au niveau fédéral sur la question du voile?

– Mais pourquoi devrait-on légiférer? Il n’y a, à ce jour, aucun problème lié au port du voile. Jusqu’en 2002, j’ai présidé toutes les instances intercantonales. Cette question n’a pas fait l’objet de débats mais d’une position commune des cantons romands, semblable à celle de Genève. A savoir: voile pour les enseignantes non, intégration des élèves avec voile oui, mais à condition de respecter les règles de l’école publique.

– Tout de même, certains cas se sont présentés dans d’autres cantons, notamment à Saint-Gall. A-t-on une idée du nombre d’élèves qui pourraient être concernées?

– Il n’existe pas de décompte global. On compte 300 000 musulmans en territoire helvétique et le tiers d’entre eux sont Suisses. On trouve aussi parmi ces derniers des partisans du voile ou du foulard. Il ne suffit donc pas de renvoyer les gens «chez eux» pour régler les choses.

– Différentes sections de l’UDC ont pourtant annoncé des projets de loi visant à interdire le foulard à l’école…

– Je suis curieuse: à la veille des élections, pourquoi ces politiciens ont si soudainement et opportunément annoncé vouloir légiférer? Le voile ne semblait déranger personne jusqu’à présent. Prenons l’exemple genevois: à aucun moment les représentants de la Constituante n’ont évoqué la question du port du voile. S’il y avait eu un problème quelconque, cela aurait été soulevé lors des débats sur la laïcité.

– Que vous inspire l’exemple français qui interdit le port de tout signe religieux «ostensible» dans les écoles depuis 2004?

– Cette loi n’a rien résolu sur le terrain et n’a pas non plus amélioré l’intégration des musulmans. La vision de l’islam s’est, au contraire, dégradée dans la société. Le problème français, ce n’était pas le voile à proprement parler mais le contexte de pressions autour de l’école. Les enseignants se sentaient abandonnés par l’Etat et se plaignaient de ne plus pouvoir exercer leur mission correctement. Certains parents contestaient l’enseignement de la biologie, de l’histoire de l’art, voire la visite de certains monuments historiques comme les cathédrales. Nous n’avons jamais eu ce genre de problèmes en Suisse. Si nous continuons à faire respecter les règles de l’Instruction publique, la question du voile ne doit pas se poser. En politique, nous devons chercher à résoudre des problèmes, pas à en créer de nouveaux.