Publicité

Une exposition boudée, et le Jura découvre qu'il doit encore apprendre à se vendre

En deux mois, à peine 1500 personnes ont parcouru l'expo archéologique «Paléomania». Explications.

Le Jura et ses traces de dinosaures: de l'or en barre, croyait-on! Surtout que, depuis cinq ans, près de 50000 personnes se sont précipitées sur les sites de fouilles à Courtedoux. Or, les deux premiers mois de «Paléomania: sur la piste des paléontologues dans l'Arc jurassien» sont un bide. A peine 1500 visiteurs. «C'est ridiculement bas et je me sens désarmé», déplore Yves Riat, propriétaire de l'Espace Courant d'Art à Chevenez, près de Porrentruy, où se tient l'exposition. Il escomptait 10000 à 20000 visiteurs en quatre mois.

Un écrin pourtant si riche...

Pourquoi si peu d'empressement pour une exposition pourtant magnifique, qui vulgarise avec la rigueur scientifique 220 millions d'années d'histoire de la vie dans l'Arc jurassien (LT du 12.05.2007)? Une expo spectaculaire, trilingue, avec des dalles présentant des empreintes de dinosaures suspendues aux parois, d'innombrables fossiles, des reconstitutions de dinosaures et de mammouths, un film vidéo, une scénographie interactive qui fait du visiteur un paléontologue en puissance.

Les questions s'entrechoquent: les initiateurs franco-suisses ne se sont-ils pas dispersés, en voulant insérer l'exposition dans un concept plus large, avec un film, un livre et des fouilles? Le choix de la petite localité de Chevenez, dépourvue de notoriété, était-il opportun? Et, surtout, la stratégie de communication, visiblement inappropriée, interpelle.

Des liens complexes

Au départ, le projet ne devait associer que le Jura et Fribourg, par le biais de son Musée d'histoire naturelle, qui hébergera l'exposition en octobre 2008. Puis, sous l'impulsion du chef du Service jurassien d'archéologie, François Schifferdecker, on a voulu en faire un grand programme franco-suisse, pour profiter de fonds européens Interreg. C'est à partir de là que tout s'est compliqué, que les divergences d'approche et de fonctionnement se sont manifestées.

Le projet a pu s'appuyer sur un budget de quelque 300000 francs, alimenté par quatre contributeurs principaux: le Jura, Fribourg, le département français du Jura et Interreg. La répartition de la manne interloque: des moyens pratiquement équivalents ont été affectés à la confection de l'exposition et au film vidéo. Avec un résultat inégal.

Conformément aux pratiques françaises, la communication a été confiée à une agence parisienne, Alambret Communication. Elle a produit un dossier de presse général, en mars déjà. Estimant le projet flou, méfiants face à une information débarquée de Paris, les médias suisses n'ont pas ou peu répondu. Les journalistes étaient rares à la conférence de presse, convoquée le matin du vernissage de l'exposition, le samedi 3 juin, à 9 heures, à Chevenez. Au-delà du dossier de presse, pas de concept marketing, sinon de petites affiches et des flyers.

L'exemple de Réclère

Alors qu'à Réclère, à 17 kilomètres de Porrentruy, Eric Gigandet est parvenu à attirer des milliers de visiteurs dans son Préhistoparc, qui présente une cinquantaine de reproductions d'animaux préhistoriques, l'expo Paléomania de Chevenez ne reçoit que de rares visiteurs. Pas ou peu de classes, car l'information aux écoles jurassiennes a été faite tardivement, en avril, alors que les courses scolaires étaient déjà organisées.

Face au déficit de fréquentation, on s'applique à récupérer la situation. Ainsi, le galeriste Yves Riat a convaincu une banque régionale de lui financer des annonces dans les journaux régionaux. Le commissaire de l'exposition et paléontologue Jacques Ayer a obtenu un budget du Jura pour faire placarder des affiches mondiales dans les villes de l'Arc jurassien. Les visiteurs sont un peu plus nombreux depuis quinze jours.

«J'espère voir du monde»

«Il reste deux mois d'expo, j'espère enfin voir du monde», dit encore Yves Riat. Qui ose la comparaison avec l'autre événement de l'été dans le Jura, l'expo John Howe à Saint-Ursanne: le monde fantastique de l'illustrateur du Seigneur des Anneaux a eu droit à un formidable retentissement, grâce à la bonne communication des organisateurs, alors que Paléomania, au contenu plus dense, souffre de l'absence de marketing.

Comment le Jura réussira-t-il à tirer parti des traces de dinosaures et de son riche patrimoine paléontologique découverts en Ajoie s'il peine à attirer les visiteurs à Paléomania? Autour de la ministre de la Culture, Elisabeth Baume-Schneider, un bilan sérieux devra être tiré. Il s'agira de se demander si, en s'engouffrant dans le tourbillon Interreg, le Jura n'a pas eu les yeux plus gros que le ventre. Et s'il ne doit pas d'abord compter sur les compétences avérées de ses propres paléontologues.

L'expo Paléomania est ouverte jusqu'au 30 septembre, du mardi au dimanche de 14 à 18 heures, à l'Espace Courant d'Art à Chevenez.