Face au Palais fédéral, un homme laisse tomber une bouteille à ses pieds après s’être aspergé de l’essence qu’elle contenait. Muni d’un briquet, il allume ses propres chaussures, qui prennent instantanément feu. Le sol imprégné de gasoline s’embrase autour de lui et enveloppe son corps dans une gigantesque flamme qui commence à brûler ses habits. Tout le monde crie.

Effrayante, la scène s’est déroulée lundi soir à Berne lors d’une manifestation organisée par le collectif Stop Isolation pour protester contre les conditions de vie des requérants d’asile déboutés au sein des «centres de retour» du canton. L’individu qui s’est partiellement immolé – un requérant iranien débouté – a été transporté à l’hôpital et sa vie n’est pas en danger. Toutefois, la violence de son geste interroge. Qu’est-ce qui a pu le motiver?

«On ne peut rien faire»

Depuis la dernière réforme du système d’asile en 2019, le canton de Berne s’est doté de nouveaux hébergements collectifs pour requérants déboutés tenus de quitter le territoire. Ces établissements sont gérés depuis peu par une entreprise privée, ORS AG. Les résidents apprécient peu ce changement de direction. «Depuis leur arrivée, nous devons signer notre présence tous les matins, week-ends compris, l’après-midi aussi, dit Naima Chouaf, résidente au centre biennois de Boujean, qui accueille également l’homme qui s’est bouté le feu ce lundi. «Et si on manque à l’appel, on ne reçoit pas d’argent», affirme-t-elle. Bénéficiaire de l’aide d’urgence, elle n’a pas le droit de travailler et ne perçoit qu’entre 8 et 12 francs par jour.

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«Avant, on recevait aussi 2 francs de l’heure pour nettoyer les locaux, poursuit-elle. Mais maintenant c’est fini, nous devons le faire gratuitement. Et nous refusons ça.» En juin, les requérants bernois ont écrit au canton pour se plaindre du durcissement de leurs conditions de vie. Les autorités leur ont sèchement répondu que leurs revendications étaient «dénuées de solidarité envers les personnes réellement persécutées qui recherchent une protection en Suisse». Depuis, les manifestations se succèdent. «Moi, je suis ici depuis six ans, dit Naima Chouaf. Mes deux filles sont nées ici. Je suis déboutée mais le Maroc ne veut pas me délivrer de passeport pour rentrer au pays. Alors j’attends. La personne qui s’est immolée est aussi là depuis des années, je la connais. On ne peut pas partir, on ne peut rien faire, on ne peut pas suivre des cours. On devient dingues.»

Du travail pour ne pas devenir fou

Dans un rapport publié en décembre 2019, la Commission fédérale des migrations épinglait déjà la gestion des 8500 personnes vivant de l’aide d’urgence en Suisse. Exclues de toute mesure d’intégration, avec l’interdiction de travailler, elles sont «incitées à quitter le territoire», constate la commission. Toutefois, cette dernière relève un hic: certaines d’entre elles ne peuvent pas le faire car leur pays d’origine refuse leur retour. Résultat: elles sont condamnées à errer dans un univers semi-carcéral sans perspective d’avenir ni espoir de voir leur situation s’améliorer. Pour certaines, la situation dure depuis plus de dix ans.

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«Ce manque de perspective semble affecter la santé psychique des personnes concernées», dénonce le rapport de la commission, qui recommande de leur «permettre l’accès à l’emploi ou à une formation accélérée pour préserver leur santé mentale». Contacté, le Secrétariat d’Etat aux migrations indique «ne pas pouvoir faire de commentaire» sur l’incident de lundi. Quant à l’entreprise ORS AG, elle souligne que ces protestations sont dirigées «contre le système d’asile et non l’hébergement».