Une initiative fédérale pour lutter contre la pénurie de personnel infirmier
Droits populaires
Soutenue par des élus de gauche et du centre, l’Association suisse des infirmières lance une initiative populaire pour revaloriser la profession

En Suisse, le métier d’infirmière et d’infirmier ne fait pas rêver. Le nombre de diplômés des professions de la santé qui sortent chaque année des filières de formation couvre à peine 60% de la relève nécessaire et ce constat vaut jusqu’en 2025, selon un rapport sur les besoins en effectif, publié sous l’égide de la Conférence suisse des directeurs de la santé. Conditions de travail difficiles, horaires lourds et difficilement compatibles avec une famille, salaires peu attrayants: non seulement, les jeunes réfléchissent à deux fois avant de choisir une profession de la santé, mais nombre de professionnels formés s’arrêtent en cours de route après quelques années de pratique. Pour revaloriser la profession, l’Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI) a lancé mardi une initiative fédérale, premier acte politique de ce type pour ce mouvement.
Le texte demande que la Confédération et les cantons «veillent à ce que chacun ait accès à des soins infirmiers suffisants et de qualité». Dans cette optique, ces deux acteurs doivent «garantir un nombre suffisant d’infirmiers diplômés pour couvrir les besoins.» Selon les prévisions de l’Observatoire suisse de la santé, 244 000 professionnels non universitaires seront nécessaires d’ici 2030 dans le domaine des soins et de l’accompagnement. La hausse sera la plus forte dans les EMS (+44%), ainsi que dans les organisations d’aide et de soins à domicile.
Réservoir de main-d’oeuvre
Pour l’instant, pour combler la pénurie, les hôpitaux, EMS et autres établissements ont largement recours aux soignants recrutés dans d’autres pays. «Entre 2010 et 2014, 40% des infirmières et infirmiers nouvellement engagés sont venus de l’étranger», constate Helena Zaugg, présidente de l’ASI. Or, vu les incertitudes liées à l’avenir de la libre circulation, «rien ne dit que les engagements puissent se poursuivre ainsi, sans compter les questions que pose le fait de vider d’autres pays de leurs compétences dans le domaine de la santé.»
Dans sa démarche, l’ASI est soutenue par des parlementaires de la gauche et du centre. Des socialistes, comme la conseillère nationale tessinoise et médecin Marina Carobbio Guscetti, des Verts comme la Bernoise Christine Häsler, des élus PDC, comme le conseiller national thurgovien Christian Lohr ou la valaisanne Géraldine Marchand-Balet, ainsi que Rosmarie Quadranti (PBD/ZH). Des dirigeants d’écoles de santé et les associations d’étudiants en soins infirmiers sont aussi de la partie. Infirmière, chroniqueuse et écrivaine, Rosette Poletti fait également partie du comité d’initiative. Dans une première prise de position, le président de la Fédération des médecins suisses (FMH) Jürg Schlup a annoncé être «plutôt favorable» au texte.
Si les soignants passent par une initiative populaire pour faire entendre leur voix, c’est parce qu’un projet parlementaire, lancé par un ancien élu UDC, a échoué devant le parlement. Il voulait davantage d’autonomie pour le personnel infirmier et suggérait «que certaines prestations typiquement infirmières puissent être remboursées par les caisses sans qu’un médecin doive les prescrire et signer l’ordonnance», rappelle Marina Carobbio. Mais tant le Conseil fédéral que les partis de droite craignaient une inflation des coûts de la santé. Diverses cautèles avaient été mises au projet, qui a finalement échoué.
Débat dans la profession
Pour revaloriser la profession, l’initiative reprend l’idée que les infirmières puissent fournir des soins pris en charge par l’assurance de base sous leur propre responsabilité, une fois le diagnostic et le traitement posés par un médecin. Des situations souvent rencontrées dans les EMS, les soins à domiciles, le suivi de maladies chroniques ou la réadaptation (soins des plaies ou des oedèmes, par exemple). «Faut-il vraiment que les infirmières aient besoin d’une ordonnance médicale pour prescrire des bas de soutien», afin qu’ils soient remboursés, s’interroge Marco Volpi, président de la section valaisanne de l’ASI. D’autres exigences touchent la revalorisation salariale et l’amélioration des conditions de travail.
L’initiative fait écho à un débat important au sein de la profession, en Suisse comme à l’étranger. Un symposium sur les pratiques infirmières avancées s’est tenu, l’automne dernier, à l’Institut universitaire de formation et de recherche en soins de Lausanne. Dans le monde anglo-saxon, en Australie ou aux Etats-Unis et au Canada par exemple, des «super-infirmières» existent depuis longtemps. En Suisse, via des formations de niveau master, ces pratiques avancées se développent depuis une quinzaine d’années. «Pour faire face au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies chroniques, à la croissance plus générale des besoins en santé couplés au départ à la retraite de nombreux médecins de famille, des changements de pratique seront nécessaires», estimaient alors les organisatrices du colloque.