C’est un si vieux projet que les anciens, blasés, sourient lorsqu’on leur parle de la future mosquée d’Annemasse. Amar, par exemple, qui, en ce mois du ramadan, vient rompre le jeûne au 3, rue des Alpes, une grange devenue salle de prière: «Cela fait trente ans que l’on en parle, je serai sous terre bien avant qu’elle en sorte.»

Les musulmans d’Annemasse seraient 10 000, pas tous pratiquants «mais, pendant le mois sacré, on est 400 à écouter le prêche de l’imam dehors», indique Amar. «Un lieu indigne de la pratique de la foi, qui va à l’encontre de notre volonté de transparence», résume Hamid Zeddoug, président du Centre culturel des musulmans d’Annemasse (CCMA).

Christian Dupessey, le maire socialiste, vient de décider de céder à l’association un terrain de 7000 m2, moyennant 700 000 euros, pour y construire son édifice. C’est une belle avancée, se réjouit le CCMA. Mais les blocages et oppositions sont au rendez-vous.

Le terrain d’abord, situé sur le site du Brouaz, à 2 km de la frontière. Le dernier maraîcher d’Annemasse, Pierre Grandchamp, le loue à la mairie et le cultive depuis trente ans. «La Haute-Savoie perd tous les ans en zone agricole l’équivalent de 700 terrains de foot, il faut sauver les terres encore cultivables», explique-t-il. Il a décidé de poser un recours devant le tribunal des baux ruraux qui ne siège que tous les quatre mois. La procédure s’annonce longue.

Certains présentent cet ancien élu du Front national (extrême droite) comme un raciste. Il répond: «Mon épouse est Marocaine, j’ai quitté le FN il y a 25 ans, et mosquée, église ou synagogue, ce n’est pas là le problème.» Autre son de cloche au CCMA: Hamid Zeddoug évoque une histoire de gros sous. La famille Grandchamp, propriétaire d’autres terres, aurait proposé un lopin à la communauté musulmane au prix de 180 euros le m2. Trop cher pour le CCMA. La mairie a de son côté fixé le prix de 100 euros le m2. Et a emporté le marché. «Grandchamp se venge», estime Hamid Zeddoug.

Oppositions

Dans les environs du fameux terrain, la grogne monte. Il y a ceux qui tiennent à protéger le peu de verdure qu’il leur reste. Comme Evelyne, propriétaire d’un appartement: «Nous subissons déjà la construction sur ce plateau du futur Hôpital Privé Savoie Nord, alors un autre édifice qui va me priver de la vue sur le Salève, non!»

Il y a les autres qui, ouvertement, se prononcent contre ce lieu de culte. Comme Michel, un locataire: «Que va-t-il se passer là-dedans? L’appel à la charia que je vais entendre depuis mon balcon?» Anne Michel, conseillère municipale UMP (droite) et première opposante au projet de mosquée, fait circuler des pétitions. Son site web, relayé par des blogs identitaires (droite ultranationaliste), évoque le danger d’enracinement d’une communauté dont elle suspecte certains membres d’être affiliés aux Frères musulmans de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France).

«Dôme végétalisé»

Ce même site montre une mosquée pharaonique dotée de deux minarets et d’un dôme. Les architectes annemassiens Ed Deturche et Mohamed Chelaf, chargés de dresser les plans, balaient ces fantasmes: «Le plan local d’urbanisation interdit toute élévation supérieure à 14 mètres, 60% de la surface sera attribué aux espaces verts et nous imaginons une mosquée Minergie, avec dôme végétalisé.» Un minaret? «Peut-être, plus symbolique qu’autre chose, pas forcément très haut.»

Le paiement du terrain sera assuré par les dons des fidèles. Plus de la moitié de la somme est déjà sur le compte en banque du CCMA. La mosquée elle-même coûtera au minimum 3 millions d’euros, financée par des appels aux dons dans toute la France et auprès des nombreux et riches émirs qui possèdent des résidences dans la région. En attendant, le climat demeure délétère. Le maire reçoit des lettres de menace auxquelles il envisage de répondre par voie juridique.

Pierre Grandchamp, lui, a reçu la visite d’une adjointe au maire l’accusant de maltraiter ses enfants et de se livrer au trafic de drogue. «La police multiplie les descentes pour vérifier si mes ouvriers sont bien en situation régulière, c’est de l’intimidation», accuse-t-il.