Une partie très risquée
EDITORIAL
Pour la place financière suisse, c’est la catastrophe qui n’aurait jamais dû se produire
Il n’y a pas que la bise qui est glaciale. L’inculpation de la banque privée saint-galloise Wegelin par le Département américain de la justice (DoJ) fige tout autant le sang de beaucoup de banquiers suisses. Les Etats-Unis se sont engagés dans un combat à la fois symbolique – on s’en prend au plus vieil établissement du pays – et très pragmatique: nul n’est censé ignorer la loi… de Washington.
A l’évidence, le fisc américain a en main des preuves irréfutables racontant comment des clients ont obtenu un nouvel asile fiscal alors même qu’ils ont fraudé la loi américaine et violé l’esprit des nouvelles conventions signées par la Suisse. Pour la place financière suisse, c’est la catastrophe qui n’aurait jamais dû se produire, l’imprudence impardonnable et l’aveu dramatique que certains n’ont pas compris qu’il n’existait plus de secret bancaire opposable pour les tricheurs fiscaux répudiés par UBS ou pourchassés par leur pays.
L’inculpation de Wegelin met les dix autres banques concernées dans un état de stress qui sert opportunément les intérêts des négociations du Département de la justice américain avec un petit pays que l’on peut brutaliser sans risque de représailles très sérieuses. Le rapport de force est forcément inégal: sauf à être la Chine ou la Russie, on s’oppose difficilement aux Etats-Unis; les plus faibles finissent toujours par transiger ou payer une lourde amende. C’est moralement insupportable mais la réalité politique d’un monde où le droit dépend beaucoup de l’interprétation du plus fort.
Il faut donc trouver un accord avec les Etats-Unis, une solution qui permette de régler le passé et de rétablir des relations commerciales normales. Cet accord est souhaitable mais il n’est pas certain qu’il puisse résoudre définitivement le problème de la place financière suisse. Les Européens, fâchés par l’évasion fiscale et écrasés par les dettes, seront tentés de se lancer dans la brèche ouverte par les Américains si celle-ci est trop large. La partie est donc serrée et, pour dire vrai, à très hauts risques pour l’avenir de la banque privée. L’inquiétude est d’autant plus grande que les négociations se déroulent dans le plus grand secret.