«La rentrée se fera dans de bonnes conditions», avait martelé Anne Emery-Torracinta lors de la traditionnelle conférence de presse de pré-rentrée tenue il y a dix jours. La conseillère d’Etat socialiste chargée de l’Instruction publique a probablement été un peu trop présomptueuse.
Ce jeudi, des premiers mouvements de grogne ont fait surface pour dénoncer le durcissement du règlement des collèges genevois introduit par la magistrate durant l’été. Face à ce quart des élèves qui entre dans la filière gymnasiale sans la terminer, l’élue a décidé de n’autoriser qu’un seul redoublement et de n’octroyer qu’une seule dérogation durant le cursus qui aboutit à l’obtention d’une maturité. De surcroît, la «règle des 16 points» – total minimal pour être promu – qui prévalait uniquement en dernière année a été étendue à la deuxième et troisième année sur les quatre ans que dure, ad minima, la formation.
«Une logique financière»
Informés en début de semaine via une lettre destinée à leurs parents, plusieurs étudiants se sont plaints simultanément du fond et de la forme de la missive. Griefs relayés par l’Association des jeunes engagés (AJE), qui s’est fendue d’un communiqué de presse pour dénoncer un système «élitiste». «Ce nouveau règlement pénalise les élèves qui sont déjà en difficulté, déplore son président, Gabriel Millan. La conseillère d’Etat dit vouloir lutter contre l’échec scolaire. Je dis que c’est un faux prétexte puisqu’elle ne fait que le renforcer.» En filigrane, ce dernier suspecte la ministre de vouloir faire des économies sur le dos des collégiens. «Il n’est pas question que l’éducation soit soumise à une logique financière», vitupère l’étudiant, qui annonce d’ores et déjà – outre le lancement d’une pétition – la tenue d’une manifestation mercredi prochain dans la cour du Collège Rousseau.
L’Union du corps enseignant secondaire genevois (UCESG) – organe qui fédère quasi toutes les associations de l’école post-obligatoire – n’éprouve aucune bienveillance à l’encontre de ce nouveau règlement. «Nous considérons, en effet, qu’il s’agit là d’un durcissement inadmissible du cursus, commente Marzia Fiastri, membre du bureau. Voire une démarche illégale», ajoute cette dernière, pour qui la rétroactivité de la mesure n’est pas acceptable. «Certains élèves qui ont déjà redoublé sont aujourd’hui mis devant le fait accompli, déplore Gabriel Millan. On ne peut pas venir changer les règles du jeu sans que les principaux concernés aient un mot à dire.»
Toutes ces critiques sont partagées par le président de la Jeunesse socialiste genevoise, qui n’a pas manqué de faire savoir sa désapprobation quant aux mesures prises par sa propre magistrate. «Ce n’est en tout cas pas une vision socialiste de l’éducation, soupire Brice Touilloux. Ces changements mettent davantage de pression sur les élèves et cela sans qu’aucune mesure de soutien supplémentaire ne soit mise à leur disposition. Ce nouveau règlement discrimine aussi tous les élèves dont la langue maternelle n’est pas le français, les enfants qui sont issus des couches de la population les plus défavorisées et tous ceux qui apprennent plus lentement.»
La magistrate s’explique
Face à cette levée de boucliers, la conseillère d’Etat conteste la dureté supputée de ces nouvelles règles. «Genève est le seul canton à disposer d’un système aussi souple. Un système qui permettra toujours de redoubler», argue l’ancienne enseignante, rappelant qu’il n’est pas exagéré de penser qu’une maturité puisse s’obtenir en six ans et non pas sept, comme le prévoyait l’ancien système.
«Il ne s’agit pas de pousser les élèves à partir. Mais ce n’est pas leur rendre service que de les laisser redoubler plusieurs fois. Il faut savoir les réorienter plus tôt, avance Anne Emery-Torracinta, et ainsi leur éviter un parcours chaotique.»
«La solution, c’est celle de renoncer à ce changement», répond Francine Betran, concédant «crouler» sous les questions parentales depuis deux jours. La présidente de la Fédération des associations de parents d’élèves du post-obligatoire dit avoir «beaucoup de respect» pour Anne Emery-Torracinta, mais rappelle qu’«il faut laisser le temps aux jeunes d’arriver à maturité».