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Une Suisse de cartes postales (5). Fribourg, le bijou médiéval qui a osé snober l'Unesco

Grâce au hasard et à sa topographie particulière, le cœur médiéval de Fribourg a été particulièrement bien préservé.

De prime abord, on croirait presque que rien n'a changé. Si l'on choisit l'angle de vue idoine, la vieille ville de Fribourg semble figée dans le temps. Témoin de l'architecture médiévale gothique, dont les bâtisses, construites à même la falaise, sont reliées par des ponts aériens, qui firent les délices des Romantiques.

«Si l'on considère l'ensemble des villes suisses, Fribourg a plutôt bien préservé les vestiges de son passé. Il y a certes eu quelques erreurs, mais rien de trop grave», note l'historien de l'art Aloys Lauper, responsable du recensement des biens culturels immeubles du canton.

Cette richesse du bâti, hélas, n'a pas toujours été perçue à sa juste mesure par les Fribourgeois. Dans les années 1970, la Confédération leur suggère d'entreprendre les démarches pour faire inscrire leur capitale au patrimoine mondial de l'Unesco. Elle se heurte au refus inflexible du syndic Lucien Nussbaumer, qui y voit une entrave à ses rêves de modernité. De guerre lasse, les autorités fédérales se tournent vers Berne, qui ne se fera pas prier, et obtient la reconnaissance de l'Unesco en 1983. Ses quartiers historiques ont pourtant davantage été défigurés que ceux de sa petite sœur, selon les spécialistes.

Un coup de chance

La conservation du cœur médiéval de Fribourg tient en partie du hasard. En 1834, le grand pont suspendu – en évidence sur la carte postale de gauche, qui date vraisemblablement de 1898-99 – est lancé sur la Sarine. Le trafic commerçant déserte dès lors la basse-ville, qui se paupérise progressivement. Devenus très populaires, réputés insalubres, ces quartiers échappent au développement urbanistique d'une ville qui, de toute façon, n'a pas les moyens de les redessiner en profondeur.

Mais le hasard n'explique pas tout. Au tournant du XXe siècle, alors que la ville se déploie hors de ses murailles, certaines personnalités – à l'instar du conseiller aux Etats et écrivain Georges de Montenach – se font les pourfendeurs de ce qu'ils nomment les «enlaidissements». Par ailleurs, la topographie, tourmentée, ravinée, ne permet pas de tracer des artères rectilignes.

Conséquence: les nouveaux édifices enlacent le cœur historique de la cité, mais sans l'étouffer. Témoin le stigmate de béton que l'on aperçoit à gauche de la photo actuelle. Il s'agit de la route des Alpes, chantier audacieux qui dure de 1902 à 1908. Grâce à ce nouvel axe, gagné sur le vide en bordure de falaise, les rues centrales de la cité médiévale sont épargnées. Par ailleurs, en 1924, l'imposant pont de Zaehringen remplace l'ancien ouvrage suspendu, inadapté aux automobiles. Les Fribourgeois pleurent cette vertigineuse relique de l'époque romantique, la décorant même de couronnes funéraires.

Une feuille de route

Dès 1910, le guide de la société de développement locale a fixé le dogme qui prévaudra désormais en matière de représentation touristique de la cité: «Fribourg dispute la palme du «pittoresque» à toutes ses sœurs de Suisse.» Dans le même temps, les nouveaux quartiers sortent de terre, réalisations urbanistes grandioses dans un premier temps (Pérolles, Gambach, Alt), puis confuses, voire carrément médiocres, après la Seconde Guerre mondiale. La gare est devenue la nouvelle aire névralgique de la ville. Les classes aisées ont pris d'assaut les collines environnantes, influencées par la doctrine hygiéniste qui les éloigne des ravins humides de la basse-ville.

«Les deux clichés ont été pris depuis le Schönberg, un belvédère conquis par l'habitat dans les années 1960. L'idée est alors de ne plus vivre en vieille ville, mais d'avoir la vue sur elle», note Aloys Lauper.

A l'exception de l'Eurotel, gratte-ciel des années 1970 égaré dans le nouveau centre de la cité (que le photographe a pris soin de tenir hors de son champ), la silhouette de Fribourg n'a pas trop varié. «On aperçoit encore tous ses clochers», sourit Aloys Lauper.