Urs Altermatt: «Je doute que l’apaisement de cette élection soit durable»
interview
Pour l’historien Urs Altermatt, les attaques dont le deuxième siège libéral-radical a été l’objet sont appelées à se reproduire à l’avenir. L’élection de Didier Burkhatler apporte un apaisement qui risque de n’être que provisoire, juge ce professeur à l’Université de Fribourg, spécialiste de l’histoire du gouvernement fédéral. Selon lui, les incertitudes qui pèsent sur la composition du gouvernement et qui caractérisent la période actuelle née de la disparition de la formule magique, vont persister.
Pour l’historien Urs Altermatt, les attaques dont le deuxième siège libéral-radical a été l’objet sont appelées à se reproduire à l’avenir. L’élection de Didier Burkhatler apporte un apaisement qui risque de n’être que provisoire, juge ce professeur à l’Université de Fribourg, spécialiste de l’histoire du gouvernement fédéral. Selon lui, les incertitudes qui pèsent sur la composition du gouvernement et qui caractérisent la période actuelle née de la disparition de la formule magique, vont persister.
- Est-ce la première fois qu’un siège radical était attaqué par le PDC?
- Urs Altermatt: Non. Des attaques similaires de la part des démocrates-chrétiens ont eu lieu dans les années 50. Une première fois, le camp conservateur a perdu contre les radicaux, mais une deuxième fois, en 1954, ils ont réussi à prendre un siège. En revanche, ces attaques ne se sont plus reproduites depuis 1959, lorsque la formule magique a été adoptée (deux sièges PDC, deux radicaux, deux socialistes, un UDC). Je pense que nous sommes dans une situation très proche de celle des années 50: le Parlement est à la recherche d’une nouvelle formule, et ne l’a pas encore trouvée.
- La gauche a-t-elle eu raison de penser qu’elle avait plus de points communs avec le PDC qu’avec les radicaux au point de vouloir faire élire un conseiller fédéral avec les voix du PS et des Verts?
- C’est difficile à dire, parce qu’il ne faut pas confondre les questions politiques de fond avec celles qui regardent le choix des personnes. Sur le fond, la gauche est effectivement plus proche du PDC que des radicaux, mais l’élection des membres du gouvernement est une affaire de personnes et de partis. Je crois que la gauche n’était pas en réalité suffisamment déterminée à prendre le deuxième siège radical pour le donner au PDC, et à en assumer les possibles conséquences lorsque les sièges du PS seront remis en jeu, notamment en 2011. Il était probablement plus important pour le PS de préserver l’avenir que de faire entrer au gouvernement le représentant d’un parti de centre droit plus proche de lui, sur le fond, que les libéraux-radicaux.
- Et l’UDC n’a pas voulu troubler le jeu...
- Cette fois, le pacte entre radicaux et UDC a fonctionné. Les démocrates du centre ont montré qu’ils sont aussi capables de jouer d’une manière tactique, un comportement qu’ils brocardent par ailleurs souvent sous le sobriquet de « Päcklipolitik ». Et ils ont fini par soutenir un candidat plus ouvert sur les questions européennes.
- Plus qu’un siège radical au Conseil fédéral: quelles auraient été les conséquences d’une telle rupture de la tradition?
- L’éviction d’un second radical au gouvernement aurait constitué un événement historique. Mais je m’attends à ce que les attaques du PDC dont le siège radical a été l’objet se renouvellent à l’avenir, en 2011 ou même avant. Je crois, comme je l’ai dit, que nous nous trouvons dans une phase d’instabilité comparable à celle qui a précédé l’avènement de la formule magique en 1959. L’élection de Didier Burkhalter est vécue comme un apaisement, mais je doute que cet apaisement soit durable. L’incertitude sur la composition du gouvernement à l’avenir persiste et se renforce même, et la non-élection d’Urs Schwaller n’y change rien: les Verts sont en mesure de revendiquer un siège, et l’UDC en veut deux.
- Contre Urs Schwaller, Didier Burkhalter est apparu comme le candidat de la concordance. L’avenir de la concordance vous paraît-il résider dans une formule plutôt arithmétique reflétant la force numérique des partis, ou plutôt politique, fondée davantage sur un contenu programmatique minimal des partis gouvernementaux?
- Il me semble que les partis sont à la recherche d’une nouvelle formule de nature plutôt arithmétique. Dans cette perspective, l’élection de mercredi, avec la candidature d’Urs Schwaller, constituait une étape dans cette recherche de nouveaux équilibres.
- Didier Burkhatler arrive dans un Conseil fédéral en difficulté. Pensez-vous qu’il pourra faire avancer ses idées sur la réforme du gouvernement, lui qui s’est profilé sur ce thème?
- Dider Burkhalter me semble être un « team player ». Et parce qu’il a montré qu’il attend une réforme du gouvernement, j’ai l’espoir, effectivement, moi qui suis favorable à un changement, que les choses pourraient désormais bouger sur ce plan-là. Il est plus ouvert qu’Urs Schwaller sur ce point.
- La question de l’appartenance linguistique a été clairement évoquée par Pascal Couchepin d’abord dans son allocution, par Christian Lüscher ensuite au moment d’annoncer son retrait. Pensez-vous que cette question a pu jouer un rôle décisif?
- La question de la langue et de l’appartenance des candidats à telle ou telle culture aura été plus importante en réalité que ce qui a pu transparaître dans le débat public. Urs Schwaller a certainement perdu des voix à cause de cela. L’élection de mercredi montre que cette question reste importante et qu’elle le restera à l’avenir aussi. Et que la représentation de la Suisse italophone commence à devenir centrale. Je pense qu’elle pourrait devenir aussi importante que la «question femmes» l’a été dans l’élection du Conseil fédéral. Il me semble qu’on a franchi un seuil qualitatif: le Tessin en a désormais assez d’être écarté de cette élection.