L’unique canon de la station crache sa neige sur les derniers mètres d’une piste verdoyante. Au chômage technique, un employé du restaurant attend la neige. Pour le président du Conseil d’administration de Télé Mont-Noble, Fred Pont, «on subit, on ne s’habitue qu’à contrecœur». Pour la seconde année consécutive, les installations de la petite station du Val d’Hérens seront sans doute fermées entre Noël et nouvel an. Quand il y a de la neige, les fêtes de fin d’année représentent 30% du chiffre d’affaires des remontées mécaniques: «C’est le moment où les liquidités doivent entrer.»

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Sur ses supports de communication, Nax se démarque de ses concurrents en proposant de la neige naturelle. Membre du conseil d’administration des remontées mécaniques et politologue spécialiste du tourisme à l’université de Lausanne, Christophe Clivaz avoue que «c’est un choix contraint». La société ne dispose ni des ressources financières, ni de l’approvisionnement en eau nécessaires à équiper son domaine skiable d’un enneigement mécanique. En l’absence de précipitation, ses clients peuvent utiliser leur abonnement pour skier sur la neige artificielle d’Anzère, de l’autre côté de la vallée du Rhône.

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Pour près de sept millions de francs, deux télésièges rutilants ont remplacé des téléskis vétustes. Ces dernières années, Télé Mont-Noble a préféré investir dans ses installations les plus élevées, qui culminent à plus de 2600 mètres. Conscient du recul de l’enneigement naturel, Fred Pont imagine que «dans un quart de siècle, le départ de notre domaine skiable pourrait se situer beaucoup plus haut qu’aujourd’hui». Comme un peu partout ailleurs, la société vit des recettes de son restaurant plus que de ses abonnements. Pour lui, «il faut être très optimiste et un peu fou pour diriger des remontées mécaniques.»

Un hôtel écologique

Dans le village de Nax, les acteurs du tourisme ne s’inquiètent pas particulièrement de conditions météorologiques qui ne promettent pas de véritable enneigement avant longtemps. Louis et Lisa Papadopoulos ont bâti un hôtel écologique aux murs de paille. Le Maya Boutique Hotel a ouvert ses portes en 2012 et il est plus fréquenté l’été que l’hiver, même si ses 7 chambres boisées sont déjà réservées pour les fêtes de fin d’année. Volubiles, débordants de projets et d’anecdotes, ils parlent bien-être et produits du terroir: «Nos clients recherchent l’air pur de la montagne mais la plupart d’entre eux souhaitent éviter le stress du ski.»

Nous vendons la nature et le silence

Les époux ont financé une partie de leurs services grâce au crowdfunding, «un outil marketing qui permet de communiquer sur un projet avant sa réalisation». Ces derniers mois, l’établissement a hérité de deux distinctions qui encouragent l’innovation. Il y a dix jours, il a été récompensé pour son concept de mobilité verte et individuelle. Louis Papadopoulos prête une voiture électrique à ses clients qui paient «ce qu’ils veulent». L’idée circule. Une dizaine de véhicules et un réseau de bornes devraient consteller le Val d’Hérens avant l’été prochain. L’hôtelier martèle sur tous les tons: «Nous vendons la nature et le silence.»

La fabrique des émotions

A une centaine de mètres de l’hôtel trône le Balcon du Ciel, un théâtre de bois de 400 places dont les murs disparaissent pour dégager le panorama des Alpes. Inauguré en 2010, il a été confié à la compagnie Interface, une troupe professionnelle qui se décrit comme une «fabrique d’émotions». De mai à septembre, elle programme, entre autres, les artistes auxquels elle propose des résidences à Nax. L’hiver, elle organise des soirées quotidiennes qui mélangent DJs et produits du terroir. Pour le directeur André Pignat, «nous voulons créer des rencontres plus que du divertissement.»

Les autochtones sont notre meilleure valeur ajoutée

Convaincu du dynamisme de la région, l’homme de théâtre parle de stages de yoga et de produits bio. Il a une idée très précise de ce que doit devenir le tourisme «annuel et continu» du Val d’Hérens. Pour lui, «la montagne ne sert pas qu’à faire du ski» et «les autochtones sont notre meilleure valeur ajoutée». Il décrit avec admiration les conférences de Germaine Cousin, une spécialiste de la médecine par les plantes âgées de 92 ans. Aux citadins de passage, il espère offrir une expérience, «un tissu social simple et festif, de la sérénité et de l’authenticité.»

L’échec du ski industriel

Dans les années 1970, des investisseurs espéraient développer la petite station. Un remaniement parcellaire avait freiné leurs ambitions et ils avaient fini par quitter Nax. Les remontées mécaniques ont donc été fondées tardivement, et personne n’a construit sur le domaine skiable. Pour le président Bernard Bruttin, «nous n’avons pas connu le même développement que les autres et c’est peut-être notre chance». Il y a une semaine, il présentait à la population le projet de téléphérique qui doit relier Nax à la plaine dans la prochaine décennie. En novembre, la dernière opposition à un projet de cabanes perchées dans les mélèzes a été levée: «Pour capitaliser sur nos forces et cacher nos faiblesses, nous misons sur un tourisme doux et dynamique.»

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Les stations valaisannes ont perdu une génération qu’elles ont négligée

L’hiver dernier, malgré l’absence de la neige durant les fêtes, Télé Mont-Noble a à la fois amélioré son chiffre d’affaires et la fréquentation de ses pistes par rapport à l’année précédente, déjà jugée «décevante». Affaiblie par la diminution de la pratique des sports d’hiver, la société offre désormais un abonnement annuel à tous les enfants scolarisés des communes partenaires. Pour Fred Pont, «les stations valaisannes ont perdu une génération qu’elles ont négligée». Pour Christophe Clivaz, le réchauffement climatique finira par forcer Nax à choisir entre le ski et ses alternatives, «pour ne pas disperser ses moyens» et «pour se positionner clairement».