A Euseigne, un chantier à décoiffer les pyramides?
Valais
Pour améliorer la sécurité du trafic, mais aussi celle des visiteurs des pyramides d’Euseigne, un nouveau tunnel va être réalisé pour contourner cette merveille de la nature. Des travaux qui, malgré les précautions prises, pourraient avoir un impact sur la fragile formation géologique

C’est l’un des emblèmes du val d’Hérens, avec la Dent-Blanche qui culmine à 4357 mètres, et la race bovine réputée pour sa combativité. Les pyramides d’Euseigne, coiffées de leur chapeau de pierre, ont été classées dans l’inventaire des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale en 1983. Près de quarante ans plus tard, afin d’améliorer la sécurité des visiteurs du site notamment, un nouveau tunnel va être percé pour contourner cette formation géologique. Un chantier qui s’annonce délicat, car certaines «cheminées des fées» sont fragiles.
Dur comme du béton lorsqu’il est sec, ce terrain morainique se transforme superficiellement en boue dès qu’il pleut. L’érosion joue alors son travail de sculptrice du paysage et perpétue la transformation naturelle du site. Ce phénomène rapide fait que plusieurs chapeaux des pyramides ne tiennent que par un fil. Ils pourraient donc tomber à n’importe quel moment, modifiant le visage des «demoiselles coiffées».
«Pas sûr à 100%» que les chapeaux ne tombent pas
A l’heure où plusieurs blocs, qui pèsent parfois près de 15 tonnes, jouent aux équilibristes sur des formations aux pentes dépassant les 80 degrés, l’intervention humaine sur ce site ne risque-t-elle pas d’être un coup d’accélérateur au processus de dame Nature? En d’autres termes, le chantier de percement du tunnel pourrait-il engendrer la chute d’une ou de plusieurs pyramides? «Nous avons pris toutes les précautions pour s’assurer que les chapeaux ne tombent pas durant les travaux. Mais nous ne pouvons pas en être sûrs à 100%», répond Raphaël Mayoraz, le chef de la section cantonale des dangers naturels.
Ce n’est pas la fin du monde si l’un ou l’autre bloc s’effondre. C’est l’évolution naturelle du site
On parle bien de l’effondrement des blocs de pierre qui surplombent les «monuments» et non pas de pyramides dans leur entier, un phénomène qui n’a jamais été observé, de mémoire d’homme. Le géologue précise toutefois que «si les chapeaux de l’une ou l’autre pyramide devait tomber durant la phase de percement du tunnel, le lien de cause à effet direct avec le chantier serait difficile à établir, puisqu’ils peuvent s’effondrer naturellement».
Une grande fraise de dentiste
Pour minimiser les risques, des investigations ont toutefois été effectuées «afin d’évaluer l’impact possible sur la stabilité des pyramides», indique Raphaël Mayoraz. Avec l’aide d’un bureau spécialisé, des études ont été réalisées pour établir la fréquence propre du site. Deux chasse-neige raclant le bitume ont été nécessaires pour réussir l’opération. Résultat: le risque d’impact du percement du tunnel sur les pyramides est très faible, toutefois il est préférable d’éviter l’usage d’explosifs. Il faut utiliser une méthode douce, qui consiste à gratter la roche à l’aide d’une haveuse. Cette sorte de fraise de dentiste géante commencera son travail en juin prochain et le finira d’ici à la fin de l’année, pour une inauguration du nouveau tunnel, long de 140 mètres et estimé à 10 millions de francs, à l’automne 2022.
Malgré les précautions prises, le risque d’un effondrement durant les travaux n’est pas totalement nul. Et pour éviter de probables critiques si ce scénario devait devenir réalité, l’Etat du Valais et la commune d’Hérémence, sur le territoire de laquelle sont sises les pyramides, ont décidé de communiquer en amont. «Les blocs peuvent tomber demain comme dans quinze ou cinquante ans», appuie Raphaël Mayoraz. «Ce n’est pas la fin du monde si l’un ou l’autre bloc s’effondre. C’est l’évolution naturelle du site», insiste-t-il, précisant que d’autres pyramides verront le jour grâce à l’érosion. Il suffit de se plonger dans des images d’archives pour se rendre compte de l’évolution naturelle du lieu.
Mise en valeur sur le long terme
L’enthousiasme du géologue à parler des pyramides d’Euseigne transpire la passion qu’il a pour la formation géologique de sa région. Il ne peut donc voir que d’un bon œil le projet de mise en valeur du site, piloté par les autorités d’Hérémence et facilité par la réalisation du nouveau tunnel. D’autant plus que celui-ci permettra une préservation accrue du site sur le long terme, indique Grégory Logean, le président de la commune. «La déviation du trafic réduira les vibrations continuelles engendrées par les milliers de véhicules qui passent quotidiennement par le tunnel situé en plein cœur des pyramides et qui ont un impact sur la formation géologique. Avec le tube de contournement du site, les contraintes seront moindres, ce qui est bénéfique», se réjouit l’élu UDC.
A l’heure actuelle, les autorités communales définissent le concept de mise en valeur de ce phénomène naturel. Des chemins pédestres et des passerelles devraient être aménagés pour aller au plus près des «demoiselles coiffées», alors qu’un bâtiment, mêlant valorisation du site et des produits du terroir, sera construit à quelques encablures des pyramides. Une partie muséographique, consacrée au thème de l’eau – nécessaire à la création des pyramides via l’érosion –, est en réflexion, en partenariat avec la société Grande Dixence, qui cherche, elle aussi, à mettre en valeur son barrage du fond du val des Dix. La mise à l’enquête publique de ce projet est prévue pour 2022.