Faut-il encore vraiment durcir de nouveau les règles de l’aménagement du territoire, alors que la révision de la LAT approuvée par 63% des Suisses en mars 2013 n’est pas encore entièrement mise en œuvre? C’est ce que propose l’initiative «Stop mitage», unique objet fédéral soumis au peuple le 10 février. Coprésident des Jeunes Verts de Suisse, Kevin Morisod, 25 ans, est à la tête de cette bataille en Suisse romande. Enfant de Collombey-Muraz, il est domicilié à Lausanne, où il est en train de rédiger sa thèse de médecine.

Le Temps: L’initiative contre le mitage suscite pas mal d’agacement, voire de l’exaspération. Pourquoi en rajouter dans un domaine, l’aménagement du territoire, qui crée déjà suffisamment de soucis aux autorités chargées d’appliquer la loi?

Kevin Morisod: Le mitage du territoire continue. Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), on a bétonné en 2017 l’équivalent de 2700 terrains de foot, soit huit par jour, dont 90% sur des terres agricoles. Il faut vraiment un outil pour protéger celles-ci durablement.

Pouvez-vous vraiment prétendre que la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) est un échec, alors qu’elle n’est pas encore entièrement appliquée?

Nous ne disons pas que c’est un échec. Mais c’est une loi incomplète dont le cœur nous pose aujourd’hui comme hier un problème: elle ouvre tous les quinze ans la porte à une extension générale de la zone à bâtir, c’est un véritable moteur de l’étalement urbain! La LAT introduit un certain redimensionnement et favorise la construction vers l’intérieur, mais elle n’est pas assez efficace pour la gestion durable du sol dans un pays au territoire si limité. Nous proposons donc un changement de paradigme, avec l’obligation de compenser toute nouvelle zone constructible en remettant une surface équivalente en zone agricole.

Le Conseil fédéral assure qu’avec la LAT révisée la surface de zone à bâtir par habitant a déjà diminué de 6% en Suisse…

Nous ne le contestons pas, mais durant des années les mètres carrés construits ont augmenté beaucoup plus rapidement que la population, elle-même en forte croissance. Nous arrivons au bon moment, le principe de compensation est déjà admis par certains cantons.

Imposer cette compensation, c’est instaurer de manière durable le régime d’exception que certains cantons ont connu jusqu’à l’adoption de plans directeurs de la nouvelle génération. N’est-ce pas excessif?

Nous ne voulons pas bloquer le développement du pays. Les réserves, calculées selon les projections démographiques les plus hautes, sont considérables: il y a en Suisse 300 km² de zones à bâtir non construites, qui permettraient d’accueillir 1,5 million de personnes. Déclassons celles qui sont mal placées, comme moyen de compensation permettant de satisfaire les besoins là où ils sont réels. Il existe par ailleurs un fort potentiel dans la transformation des friches industrielles ou la surélévation. Un sol bétonné perd irrémédiablement sa valeur durable pour l’agriculture, la biodiversité, le ruissellement des eaux, le paysage, le tourisme.

Beaucoup doutent de la possibilité d’appliquer dans les faits la mesure de compensation équivalente préconisée…

Nous sommes conscients que cela peut être complexe. Le débat politique et la loi d’application devront préciser les modalités. Il y a des réflexions sur cette problématique dans divers milieux. Un bureau d’urbanisme neuchâtelois avait proposé par exemple d’ouvrir une bourse des zones à bâtir en Suisse. A mon sens, pour respecter le fédéralisme, c’est le canton qui doit jouer le rôle d’arbitre dans la répartition des zones à bâtir.

Outre la disposition polémique sur la compensation des zones à bâtir, l’initiative «Contre le mitage» comprend un premier alinéa assez vague sur le soutien aux quartiers durables. A quoi sert-il?

Il signifie que nous ne voulons pas seulement limiter les possibilités de construire mais aussi encourager certaines solutions. Les quartiers durables représentent un compromis intéressant entre qualité de vie et densification. Cet article n’est pas contraignant, en effet.

Sur qui comptez-vous pour soutenir cette initiative? Les adversaires sont nombreux: les autorités fédérales, toute la droite, l’économie, les cantons, les communes, ainsi que les organisations agricoles alors que vous prétendez défendre surtout la zone agricole…

L’agriculture biologique nous approuve, mais il y a beaucoup de monde en face, c’est vrai. Les partis de gauche nous soutiennent, globalement. Même s’ils sont peu significatifs, les premiers sondages étaient positifs et nous montrent en tout cas que la population âgée et celle des zones urbaines sont bien disposées. Nous centrons les efforts de la campagne sur les villes.

Vous avez 25 ans et c’est votre première campagne à ce niveau. D’où vous est venu le goût de la politique?

C’est une histoire de famille. Mes parents font de la politique, mon père a été l’un des premiers élus verts dans le Chablais valaisan. J’ai d’abord eu des activités associatives, mais je pense qu’il faut une dimension politique pour faire avancer les choses. En 2015, j’ai été sur la liste des Jeunes Verts valaisans pour le Conseil national. J’envisage également une candidature pour cet automne.

Votre vœu pour la Suisse en 2019?

Qu’elle reste un beau pays, un pays préservé. Et qu’une véritable prise de conscience se fasse face aux dangers du réchauffement climatique. On sent que la population, la société civile bougent, la classe politique est en retard.