L’homme qui aimait Sierre au point de vouloir la transformer
#LeTempsàVélo
Avec son association Satellite, Nicolas Fontaine, paysagiste, codirecteur d’une entreprise de robotique, transforme la vie des Sierrois avec ses jardins communautaires ou ses moutons vagabonds, créant un formidable élan, durable qui plus est

#LeTempsAVélo
Durant six semaines, plusieurs équipes de journalistes du Temps et d’Heidi.news se relaient pour parcourir la Suisse à vélo et raconter ses transformations. Suivez leur odyssée grâce à notre carte interactive et retrouvez leurs articles écrits au fil du chemin.
«Soldat Fontaine, sautez!» Ce jour-là, au milieu de l’azur, Nicolas Fontaine, 19 ans à l’époque, se jette dans le vide. Une poignée de secondes, il fuse comme Peter Pan, dont il a le physique fluet et insolent. Puis son parachute s’ouvre comme une pivoine ébouriffée. A 4000 mètres d’altitude, la Terre change de texture. L’enfant de Nuvilly, dans le canton de Fribourg, réalise alors son rêve, au sein d’une unité d’élite de l’armée suisse: voler.
Cette panique d’un instant, cette symphonie éolienne, Nicolas Fontaine les raconte sur un canapé au cuir fripé, dans son QG de Sierre, avenue Max-Huber, à 300 mètres de la gare. Il vous reçoit au Stamm, qui tient à la fois du salon alternatif, de la salle de débat volcanique, de l’atelier de mécano, de la planque pour activistes utopiques. Ce repaire est le cœur de Satellite, l’association qu’il a créée en 2017. Son but? «Favoriser le vivre-ensemble», explique son fondateur, expression vague qui ne laisse pas deviner le foisonnement d’actions qui sont en train de modifier un biotope citadin où le poète Rainer Maria Rilke avait ses habitudes dans les années 1920.
A travers Satellite et sa centaine de membres, Nicolas Fontaine, 30 ans depuis vendredi dernier, a déjà monté des jardins urbains où chacun est appelé à choyer son arbre. Il a aussi disséminé des moutons dans des quartiers, ouvert un atelier où apprivoiser les arcanes de l’électronique, comme de réparer un smartphone patraque. Sus à l’obsolescence programmée! Il propose encore une bibliothèque où emprunter une perceuse, une machine à café ou un vélo électrique. Bref, tout cela ne fait pas encore une révolution, mais sous-tend un élan durable et enthousiasmant, note Alexandre Doublet, metteur en scène qui a codirigé le théâtre Les Halles de Sierre.
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La quête du parachutiste
«Le saut en parachute, c’est une dose d’adrénaline, quand tu ouvres la porte de l’avion, c’est tellement cool, confie en ce début de matinée Nicolas Fontaine, qui codirige avec trois amis Workshop.4.0, entreprise spécialisée dans l’impression 3D, dans le show et l’intégration robotique. Mais j’ai vieilli et je réalise que je peux vivre ce frisson autrement. Créer une société, c’est comme se jeter dans le vide à 4000 mètres. Entreprendre, c’est risquer de se brûler les ailes, comme les personnages de la série sud-coréenne Squid Game, qui croulent sous les dettes et se retrouvent embarqués dans un jeu mortel. Moi, je fais en sorte de n’avoir aucune dette.»
«Nicolas Fontaine est un phénomène, souligne Isabelle Bagnoud Loretan, rédactrice en chef du Journal de Sierre. Il faut le voir se promener avec Spot, ce robot chien conçu par une boîte américaine. Avec Satellite, il donne du souffle à une ville qui financièrement a touché le fond et qui se relève à travers ce genre d’initiative. Il ne tient pas de grands discours, il agit et fait en sorte que la vie devienne ici plus agréable. Allez voir ce qui se passe à l’Antenne, sur l’avenue Max-Huber, elle aussi. Dix artistes y partagent un espace, sur deux étages, pour un loyer riquiqui. C’est Nicolas qui a rendu cela possible.»
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A l’Antenne, donc, le photographe Samuel Devantéry, 29 ans, salue l’efficacité de ce touche-à-tout. «J’ai contacté Nicolas et il nous a aidés. Nous avons ouvert en janvier cet endroit où cohabitent des plasticiens, un vidéaste, un styliste et une officiante laïque.» Gary Germanier, qui a rompu avec son métier de comptable pour vivre sa passion de la couture, décrit ainsi leur allié. «C’est un pyromane. Il vient, il allume et il part. Il ne s’investit pas à la place des autres.»
Mais au fond, pourquoi Nicolas Fontaine, paysagiste de formation, fils d’un infirmier naturopathe et d’une gestionnaire, a-t-il choisi Sierre pour se déployer? «Un coup de bol, confesse-t-il. Un copain me dit: «Fontaine, Fribourg en parachute, c’est moche, rejoins-moi en Valais.» Je n’avais pas une thune, pas de taf et je me suis installé à la Cité du Soleil, une coloc de 72 personnes où j’habite toujours. Avec un gars, j’ai créé une société de paysage, Balet & Fontaine – Lumières et Jardins. Puis j’ai quitté la boîte et lancé l’association Satellite, qui est une manière de donner une autre forme à l’aventure de la colocation. L’avantage de Sierre, c’est qu’elle offre des opportunités à un jeune comme moi. Il y a eu un esprit ici qui s’est traduit dans les années 1990 par le Festival de BD. Il ne demande qu’à être rallumé.»
Vert, social et PLR
Entreprendre pour fédérer par-delà les chapelles. C’est la ligne de cet hyperactif, inadapté au système scolaire, naguère en pétard contre toute forme d’autorité, mais structuré par l’armée avec laquelle il a fini par se fâcher. Dans cette veine, il créait, il y a un an, sous l’égide de Satellite, Les Communs, un makerspace où le moins technophile peut se familiariser avec la gravure laser, l’impression 3D, la soudure. «Nous voulons transmettre des savoirs», explique-t-il. Sa motivation, poursuit-il, c’est de faire le bien. Pas l’argent, en tout cas, jure-t-il. «Je n’ai pas besoin de beaucoup, je me suis offert une Tesla, j’aime bien manger, mais pas forcément dans des restaurants gastronomiques, et je vis toujours en colocation. Ce qui m’anime, c’est l’amour de cette ville et de ses habitants. J’ai envie de me battre pour ça.»
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Satellite, ce serait donc ça: une galaxie où gravitent femmes et hommes de bonne volonté. Politiquement, Nicolas Fontaine affirme qu’il est très Vert, très social, très PLR aussi, qu’il a de l’affection pour l’ancien conseiller fédéral UDC Adolf Ogi, depuis ce 1er janvier 2000 où il l’a vu à la télévision brandir un sapin comme symbole du pays. «J’aime ne pas être calculable. A la Jeune Chambre de Sierre, mes collègues peinent à me classer.»
L’ombre du «Seigneur des anneaux»
Quand Spot lui lâche les basques, quand il parvient à refuser une sollicitation – «Mon drame, c’est que je ne sais pas dire non» –, il monte à Derborence où il retrouve un copain berger. Dans les pâturages, il se souvient du jardin extraordinaire de ses parents à Nuvilly, des 850 espèces de plantes qui font les malignes sous le soleil, de la centaine de tisanes qu’elles offrent au visiteur, des lapins indolents et des poules farceuses, un pays de Cocagne où il voudrait finir ses jours, souffle-t-il. Il a une pensée aussi pour les héros de son adolescence, Harry Potter, et plus encore Aragorn le valeureux, le chef des rôdeurs dans Le Seigneur des anneaux, l’ami des elfes et de Gandalf le magicien.
«Nicolas, comment vous projetez-vous dans cinq ans? Vous imaginez-vous avec une famille?» «J’y songe, mais j’ai les jetons. Ce qui est sûr, c’est que je veux m’engager pour cette ville. J’en suis amoureux et je suis un guerrier.» Tête baissée sur le divan, l’Aragorn de Sierre parle ainsi. Il donne envie de s’envoler avec lui. Les elfes ont de sacrés pouvoirs.
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