Dans l’hôpital psychiatrique de Malévoz, l’art permet aux patients de s’évader
Psychiatrie
Au cœur de l’unique hôpital psychiatrique du Valais romand se niche le Quartier culturel de Malévoz, fruit d’une collaboration entre l’Hôpital du Valais et l’Association Malévoz, Arts, Culture et Patrimoine. Les liens étroits entre les deux institutions bénéficient aux patients, au personnel et aux artistes qui y résident

C’est un lieu hors du temps. Sur les hauts de Monthey, dans le Chablais valaisan, est perché l’hôpital psychiatrique de Malévoz, une sorte de petit village fait de divers pavillons, construits entre 1900 et 1970, et éparpillés au sein des 8 hectares du plus grand parc public du canton. Au milieu de cet écrin de verdure trône une institution que l’on peine à imaginer, de prime abord, dans un hôpital psychiatrique. Et pourtant, le Quartier culturel de Malévoz est parfaitement intégré au site. Architecturalement, bien sûr, mais surtout dans le processus de soins, pour le bien-être des patients.
Cet espace culturel, né au début de l’année 2011 d’une collaboration entre l’Hôpital du Valais et l’Association Malévoz, Arts, Culture et Patrimoine, est composé d’un théâtre, d’une galerie, d’une buvette, ainsi que d’une résidence et d’ateliers d’artistes. Tous ces lieux ont vu le jour dans d’anciens bâtiments de l’hôpital, laissés à l’abandon. La halle industrielle est devenue salle de théâtre, l’ancienne buanderie s’est transformée en galerie d’art – elle accueille en ce moment une exposition du peintre valaisan Pascal Abbet – tandis que le Torrent, une unité psychiatrique construite pendant la guerre de 14, accueille désormais les artistes en résidence. Jusqu’à 15 personnes peuvent y séjourner en même temps.
«Les bâtiments à l’abandon diffusent un sentiment d’abandon chez les patients, explique Gabriel Bender, à l’origine du projet avec le professeur Eric Bonvin, ancien directeur du Centre hospitalier du Chablais. Nous avons souhaité remplir ces vides avec du vivant. Remettre des gens aux fenêtres.» Le Quartier culturel, qui attire chaque année près de 2000 personnes – un chiffre équivalent au nombre d’hospitalisations sur le site –, amène de la vie au sein de l’établissement. «Cet espace, qui ressemble à une île dans l’hôpital de Malévoz, offre de vraies rencontres, dues au hasard, des instants bien différents des rendez-vous thérapeutiques», souligne Gabriel Bender. Une manière de réduire le seuil de l’hôpital psychiatrique et de déstigmatiser la maladie mentale, mais pas seulement.
Restaurer l’humanité des patients
Cet îlot au cœur de Malévoz est un plus pour les patients hospitalisés. Médecin-chef du Pôle de psychiatrie du Centre hospitalier du Valais romand, le Dr Georges Klein partage l’enthousiasme du créateur de l’espace culturel. «En psychiatrie, il est important de garder des liens avec «la vraie vie», explique-t-il. L’espace culturel contribue à cela, au même titre que les jardins fleuris ou que les desserts proposés par les pâtissiers. Ce ne sont pas des traitements, mais ils contribuent à la qualité du cadre thérapeutique et participent à l’amélioration clinique.» En les distrayant de leurs tourments, les activités culturelles offrent aux patients la possibilité de sortir de leur rôle de malade durant quelques heures. «Le Quartier culturel contribue à rappeler leur part d’humanité saine aux personnes hospitalisées», insiste le Dr Georges Klein.
A Malévoz, la psychiatrie asilaire n’est qu’un lointain souvenir. On est à des années-lumière de l’image des hôpitaux psychiatriques renvoyée par des films comme Vol au-dessus d’un nid de coucou. Il n’y a plus d’internement administratif ou de résidents à l’année. Les patients, qui viennent à l’hôpital pour être soignés, y restent quelques semaines. Ils traversent un moment compliqué de leur vie et l’hôpital psychiatrique les aide à passer cette étape, au même titre qu’un hôpital vous aide à vous remettre sur pied si vous vous êtes cassé une hanche.
Des artistes obligés de s’investir pour l’hôpital
Dans ce quotidien hospitalier souvent répétitif et quelque peu ennuyeux, le Quartier culturel offre un bol d’air aux patients, qui sont incités à franchir la porte de la buvette. Chaque mois, ils reçoivent le programme des activités proposées, ainsi que le nom et le CV des artistes en résidence. Mais encore faut-il que ces derniers jouent le jeu et aillent au contact des patients. «Ils n’ont pas le choix, rétorque Gabriel Bender. Nous proposons un espace de qualité à des prix défiant toute concurrence, à condition que les artistes s’investissent pour l’hôpital.» Le contrat précise qu’ils doivent proposer, au minimum une fois par semaine, une activité pour les patients, le personnel ou le grand public. Grâce à cette politique, des propositions culturelles sont programmées tous les jours de la semaine.
Ce mélange des genres ne dénature en rien la dimension artistique du lieu. «La résidence est là pour soutenir le travail des artistes et pas pour l’hôpital psychiatrique. C’est pour cela que c’est efficace», insiste Gabriel Bender. Le responsable du Quartier culturel avoue subir une certaine pression extérieure pour accueillir des artistes marginaux ou des œuvres d’art brut. Il se refuse pourtant d’y céder. «Si nous le faisions, l’effet produit serait l’exact inverse de ce que nous recherchons», explique-t-il. La résidence ouvre ses portes à des artistes, toute discipline confondue, suisses ou étrangers, débutants ou confirmés, pour commencer, poursuivre ou terminer un projet artistique. «Nous leur offrons un asile hospitalier et ensuite, ils poursuivent leur chemin», glisse Gabriel Bender.
Bénéfique aussi pour les artistes
Mi-mai, 18 artistes de la francophonie internationale étaient réunis à Malévoz dans le cadre de la pépinière à projets de la Commission internationale du théâtre francophone. La Française Julie Hega et le Belge Patrick Michel étaient de la partie. Une première pour eux, dans un lieu mêlant art et psychiatrie, qui les a marqués. Les deux comédiens expliquent que s’ils donnent quelque chose aux patients, la réciproque est également valable. «L’inspiration naît du lieu dans lequel on se trouve. Nous avons donc réalisé des choses que nous n’aurions pas faites si les patients de l’hôpital n’avaient pas été là», reconnaît Patrick Michel. «Ça donne des idées», sourit Julie Hega, qui n’a pas hésité à intégrer quelques patients au projet imaginé dans le cadre de cette résidence.
Cette expérience d’immersion au sein de Malévoz, Romain Legros la vit pleinement. Après un premier passage en résidence en 2017, l’artiste s’est désormais installé à l’année dans les locaux du Quartier culturel. «Le rapport avec les patients est plus indirect, mais il est nettement plus chouette, avoue-t-il. Quand la porte de l’atelier est ouverte, les patients savent qu’ils peuvent entrer comme bon leur semble.» Romain Legros remarque que les visites sont plus fréquentes le soir et le week-end, quand la majorité du personnel de l’hôpital est partie et que la vie est moindre au sein de l’établissement. S’il ne les réduit pas, le Quartier culturel de Malévoz permet aux patients d’oublier leurs souffrances et de s’évader l’espace d’un instant.