Sur l’étendage, le linge sèche au soleil. Même si l’on se trouve à près de 1600 mètres d’altitude, la chaleur est étouffante en cette fin de juillet à Glarey, à quelques encablures du col du Sanetsch. Sur la terrasse du chalet, Prune, Persil et Ciboulette, les trois poules accompagnées du coq Titus nous accueillent, juste avant que Michèle ne sorte du mayen. Jean-François, lui, est venu à notre rencontre quelques centaines de mètres plus bas, sur la route en terre, pour nous indiquer le chemin.

Depuis 2010, Michèle s’est installée dans le chalet familial, construit dans les années 1870, réalisant ainsi son rêve, qui lui trottait dans la tête depuis sa plus tendre enfance et les vacances passées dans ce lieu avec sa grand-mère. Jean-François l’a rejoint en 2014, pour y vivre à l’année. Et ce malgré la fermeture de la route, trois kilomètres en contrebas durant la saison hivernale, qui à cette altitude peut durer six mois.

«Lorsqu’il neige, on peut rester plusieurs jours dans le chalet, sans bouger, à faire des mots croisés, des sudokus ou à lire», raconte Jean-François. Difficile de le concevoir, à l’ombre du parasol qui nous protège d’un soleil de plomb. Pour nous faciliter ce travail d’imagination, Michèle nous montre, sur son ordinateur portable, à quoi ressemble l’hiver à Glarey. Des murs de neige de deux à trois mètres entourent le chalet.

«Je rattrape trente ans sans neige»

Sur un hiver, le cumul des chutes d’or blanc peut atteindre trois à huit mètres. Mais, pas de quoi apeurer Michèle, qui a passé son enfance dans le Jura bernois, où les hivers peuvent être aussi rudes qu’en Valais. Durant sa carrière professionnelle, la sexagénaire s’est exilée à Lutry, sur les rives dépourvues de neige du Léman. Le manque de flocons s’est toujours fait sentir. «Aujourd’hui, je rattrape trente ans sans neige», sourit-elle. Et le couple en profite. «Le froid est sec ici, ce qui nous permet de faire des grillades, sur la terrasse, toute l’année», ajoute Jean-François, alors qu’apparaît une jeune fille, en vacances dans le chalet voisin, venue voir les poules.

Ces passages, à l’improviste, sont fréquents. Dans la région, tout le monde sait que la porte de Michèle est Jean-François est toujours ouverte. «J’ai plus de visites ici, que si j’habitais à Lutry», rigole Michèle. Et cela, été comme hiver, les randonneurs à ski étant nombreux.

En confinement, chaque année

Vivre à l’année la vie de mayen n’est donc pas synonyme de solitude, même si, durant la saison hivernale, l’isolement est quasi total. Une anecdote de Jean-François fait prendre conscience de cet état de fait: «Sans les médias, nous n’aurions jamais su qu’il y avait eu le coronavirus, et tout ce que cela a impliqué, ce printemps.» Le couple étant «en confinement» chaque année de novembre à début mai, quasiment, la crise sanitaire mondiale n’a en rien bousculé son quotidien, qui demande une grande dose «d’organisation et de bon sens».

L’hiver se prépare durant tout l’été. Cette année le couple élève des poulets d’engraissement pour avoir de la viande de volaille, à côté de celle de bœuf, de porc ou d’agneau, achetée à un éleveur de la région en grande quantité une fois par an. Certains légumes du potager seront mis en conserve. Au mois d’octobre, il faudra songer à remplir le congélateur. Le pain et les pâtes? Faits maison! Le couple concocte tout lui-même. «Sauf les œufs, ce sont les poules qui s’en occupent», lance Michèle, dans un éclat de rire.

Puis viendra le mois de novembre, le plus dur selon Jean-François. Les jours raccourcissent rapidement, l’hiver arrive. Il faut être aux aguets pour ne pas se faire piéger par la neige et voir la voiture bloquée au mayen durant de nombreux mois. Pendant la période hivernale, le véhicule est stationné quelques kilomètres plus bas, juste avant la barrière qui signifie la fermeture de la route. La fin du trajet se fait alors en quad sur lequel sont montées des chenilles.

Autorisation spéciale pour route enneigée

L’engin leur permet d’emprunter la route enneigée, grâce à l’autorisation spéciale – obligatoire – délivrée par l’Etat du Valais. Un laissez-passer soumis à conditions. Le canton confirme que pour obtenir ce sésame (pour la région de Glarey, quatre habitations sont concernées), les habitants à l’année doivent mandater, à leur charge, un responsable de sécurité qui, après analyse des risques liés aux avalanches, leur délivre ou non le droit d’emprunter la route. «Cela se fait par SMS, indique Michèle. Lorsque le danger est trop important, ce guide de montagne nous le fait savoir pour que nous ne circulions pas.»

Les déplacements sont de toute façon rares en hiver. Une fois par mois, au grand maximum. Toutes les allées et venues superflues sont évitées. Le couple s’organise pour prendre ses rendez-vous chez le médecin ou le dentiste durant la période estivale, sauf cas d’extrême urgence. «Pour l’heure, on a une santé de fer», souligne Jean-François, en touchant la table en bois. Michèle espère que cela va durer, le plus longtemps possible. Elle n’est pas pressée de quitter Glarey. Ni de mourir d’ailleurs, car, comme elle le dit si bien: «Je connais déjà le paradis.»