«Le Nouvelliste» et le FC Sion: les histoires d’amour finissent mal, en général
Récit
Si, par le passé, l’amour était fusionnel entre «Le Nouvelliste» et le FC Sion, aujourd’hui on est proche du divorce. Retour sur un boycott qui dure depuis plus d’une année

051. Trois chiffres qui, depuis plusieurs décennies, s’affichent sur le siège d’un média dans la tribune de presse du stade de Tourbillon: Le Nouvelliste. C’est depuis cette place que les journalistes du quotidien valaisan suivent les matchs à domicile du FC Sion, l’équipe phare du canton. Ou plutôt suivaient. Samedi soir, lors de la rencontre de Super League entre le FC Sion et le FC Zurich, la place 051 sera vide, comme elle l’est depuis le 20 juillet 2018 et le début du boycott imposé par le FC Sion au journal.
Depuis plus d’une année, Christian Constantin, l’omniprésent président du club valaisan, refuse d’accorder des accréditations à tous les employés du Nouvelliste. Ceux du FC Sion, quant à eux, ont l’interdiction de communiquer avec le quotidien valaisan. Les deux institutions étaient alliées dans leur rôle de ciment de l’identité valaisanne: Le Nouvelliste racontant l’actualité de ce bout de pays, le FC Sion réalisant des épopées en Coupe de Suisse notamment, remportant les 13 premières finales auxquelles il a participé. Elles semblent être devenues des ennemies.
Les années où le nom du journal s’affichait en grand sur les maillots des joueurs semblent bien loin. A cette époque, l’homme fort du club s’appelait André Luisier. A sa casquette de président du FC Sion, qu’il a enfilée de 1981 à 1992, s’ajoutait celle de directeur du Nouvelliste. Les deux entités n’en faisaient presque qu’une et l’actualité du FC Sion devait permettre au journal de rajeunir son lectorat, en devenant le sujet prédominant de la rubrique sportive. Une situation qui a perduré jusqu’en 1992 et le premier passage d’un certain Christian Constantin à la tête du club. Plus de 25 ans plus tard, la situation semble s’être totalement inversée, même si, au final, peu de choses ont changé.
Lire aussi notre éditorial: Valaisan, mais journaliste
Club de cœur des Valaisans
Le FC Sion demeure le club de cœur des Valaisans et le quotidien local continue de couvrir son actualité, malgré le boycott. «Il n’est pas question de prendre en otage nos lectrices et nos lecteurs. […] Parce que le FC Sion appartient à toutes les Valaisannes et à tous les Valaisans», insiste Vincent Fragnière, le rédacteur en chef du Nouvelliste, dans un commentaire le 19 juillet dernier. Au fil des mois, on oublie presque que les journalistes et les photographes du Nouvelliste sont persona non grata pour le club de football.
Si quelques détails, comme l’absence totale de Christian Constantin dans les colonnes du quotidien, rappellent aux lecteurs attentifs que les relations entre les deux entités sont tendues, la qualité du traitement du FC Sion par Le Nouvelliste n’est pas affectée par le boycott. Au contraire, même. Dès son entrée en vigueur, le quotidien modifie et améliore sa couverture du club phare du canton. Et cela pourrait aller encore un pas plus loin avec le renouvellement de son concept pour la nouvelle saison de Super League. Il s’appuiera sur des analyses de consultants, qui ont porté le maillot sédunois ou qui ont pris place sur le banc de Tourbillon, ou remémorera des moments d’histoire, liés aux matchs du week-end.
Lire aussi: Les médias romands dénoncent le boycott du «Nouvelliste»
Des médias solidaires
Ce boycott, devenu invisible au fil des mois, est de nouveau sous le feu des projecteurs depuis deux semaines. Le Nouvelliste, en annonçant que le président du club sédunois l’a de nouveau prononcé pour la saison 2019-2020, a sonné comme un rappel de son existence. Depuis, les prises de position fusent. L’Association de la presse valaisanne, Impressum (la plus importante association professionnelle de journalistes de Suisse), Reporters sans frontières, Syndicom (le syndicat des médias et de la communication), ou encore la majorité des rédacteurs en chef de Suisse romande, tous dénoncent l’attitude de Christian Constantin et expriment leur solidarité envers Le Nouvelliste.
Les médias du Valais romand s’abstiennent cette année. Ils avaient soutenu leurs confrères l’été passé, au travers d’une lettre ouverte à Christian Constantin. Le président du FC Sion leur avait alors répondu qu’ils n’avaient pas connaissance de toutes les modalités du dossier et ajoutait que, par solidarité pour leurs confrères du Nouvelliste, ils avaient la possibilité de retourner les accréditations reçues pour la saison 2018-2019. Personne ne l’a fait.
Lettre ouverte aux médias valaisans pic.twitter.com/NADndFTHTn
— Christian Constantin (@ChConstantin) July 25, 2018
Une population valaisanne divisée
Toutes ces prises de position émanent d’entités proches du monde de la presse. Dans la population, cette unanimité n’est pas si marquée. Si les groupes de supporters du gradin nord ne prennent pas position pour l’une ou pour l’autre entité, ils estiment qu’il «est dommage de créer des clivages dans un canton qui ne cesse de se diviser à beaucoup d’égards». Dans un communiqué évoquant la nouvelle saison, ils précisent ne voir aucun avantage «d’être tributaires de cette atmosphère parfois pesante qui s’abat dans le ciel valaisan», concluant qu’il «est temps d’aller de l’avant à tout point de vue».
A l’heure de l’apéro, quand le sujet vient sur la table, ou sur le forum en ligne consacré à l’actualité du club, les avis sont partagés. Et nombreuses sont les personnes qui soutiennent Christian Constantin (dit «CC») dans sa démarche, à l’image de cet internaute qui écrit: «Pourquoi une connerie uniquement de la part de CC? Vous croyez que Fragnière est blanc comme neige? A lire les commentaires du bonhomme sur tout et sur rien dans Le Nouvelliste, je crois qu’il se prend autant pour un seigneur que CC. Ce gars porte la responsabilité du boycott. Ce n’est pas parce que tu es journaliste que tu peux tout te permettre.»
La chronique bimensuelle que Vincent Fragnière consacre au FC Sion depuis l’été 2017 est l’élément déclencheur du boycott imposé en juillet 2018 par le FC Sion. Amoureux du ballon rond, et actif dans le foot régional depuis des décennies, le rédacteur en chef du Nouvelliste donne son avis, parfois critique, sur le club de cœur des Valaisans. Sans langue de bois. Un ton qui ne convient pas à Christian Constantin.
Un coq de trop dans le poulailler?
Mais, derrière ce boycott, n’y a-t-il pas plus que ce mécontentement au sujet d’une chronique? Dans son style inimitable, le président du FC Sion résumait ainsi la situation, fin mai, sur le plateau de Canal9: «Vincent pense que je suis un trou du cul et moi je pense que c’est un abruti.» Y a-t-il un coq de trop dans ce poulailler qu’est le Valais? La situation semble se résumer à ce combat de basse-cour. Mais les deux protagonistes refusent cette version de l’histoire. «J’aime bien Vincent, mais je ne pense pas comme lui», glisse Christian Constantin. Vincent Fragnière, lui, explique qu’il «déteste cette image de guerre d’égos. S’il y a moins d’animosité entre nous qu’il n’y paraît depuis l’extérieur, un boycott est une atteinte grave au droit à l’information.»
Les deux hommes se sont rencontrés autour d’un repas, cet été, pour discuter d’une possible levée de boycott, en parallèle aux tractations menées entre le média et le club. Mais les visions ne convergent pas. Les nouvelles négociations n’ont mené à rien. Dans les colonnes de son journal, Vincent Fragnière expliquait dans son commentaire du 19 juillet dernier: «Le Nouvelliste n’est pas l’organe de communication du FC Sion et ne pouvait donc pas accepter la proposition de son président d’avoir une page hebdomadaire gratuite pour traiter du club [le FC Sion conteste avoir demandé cette page gratuitement].» La contre-proposition du journal, à savoir une chronique hebdomadaire, réalisée par un membre du club, couplée notamment à une offre commerciale, n’a pas séduit Christian Constantin.
Pour le président du FC Sion, le problème réside dans l’absence de droit de réponse aux critiques formulées par Vincent Fragnière dans ses chroniques: «Si la liberté de la presse signifie que chaque partie peut être entendue, c’est parfait. Si ce n’est pas le cas, il y a un problème et, dès lors, chacun reste dans son coin.» Christian Constantin peut se le permettre, puisqu’il ne perd pas au change. «Il n’y a quasiment aucune différence, glisse-t-il. Cela confirme ce que je pensais dès le début, à savoir que Le Nouvelliste a plus besoin de nous que l’inverse. Si certains estimaient, au départ, que c’était une pensée de vaniteux, on se rend compte aujourd’hui que c’est un constat réaliste.»
Malgré tout, Christian Constantin reste un fidèle lecteur du journal valaisan. Au bout du fil, il nous livre, par cœur, les notes attribuées à ses joueurs par l’ancien Sédunois Didier Crettenand, dans les colonnes du quotidien, après le derby du Rhône face à Servette – et les commente évidemment. S’il se définit comme partisan de la presse papier, le président du FC Sion, comparant le nombre d’abonnés de la page Facebook de son club, 84 000, à ceux du Nouvelliste, 61 000, argue que ces médias sont de moins en moins indispensables. Au point de les remplacer? Il y a quelques mois, après la mort du Matin papier, il a tenté un rapprochement avec le groupe de presse Tamedia pour lancer un périodique consacré aux sports. Son projet «Le Matin Sports» a été tué dans l’œuf. Aujourd’hui, il s’est attaché les services d’un journaliste pour assurer la communication de son club, qui annonce le lancement début septembre d’un magazine mensuel papier pour évoquer son actualité et la possibilité pour les supporters, dès ce week-end, de noter les prestations des joueurs.
Lire également: Constantin contre «Le Nouvelliste», un boycott gagnant-gagnant
Des précédents d’une moindre ampleur
La situation actuelle est exceptionnelle, et ce même si quelques exemples plus ou moins similaires existent en Suisse et à travers le monde. En 2014, en réaction à un article de La Liberté, les joueurs de Fribourg Gottéron, avec le soutien de leur hiérarchie, ont refusé d’accorder des interviews au quotidien fribourgeois. Le boycott n’aura duré qu’une semaine. En France, un article de L’Equipe a provoqué la colère du PSG qui, en représailles, a bloqué l’accès à ses conférences de presse aux journalistes du quotidien sportif. Outre-Atlantique, la NBA a infligé, fin juin, une amende de 50 000 dollars aux New York Knicks, pour avoir empêché les journalistes du New York Daily News d’assister à la conférence de presse de présentation de leurs nouvelles recrues. Une décision qui sonnait comme une riposte aux critiques émises par le journal à l’encontre de James Dolan, le propriétaire de la franchise de basket. Si ces exemples existent, aucun d’entre eux n’a été aussi large et d’une durée aussi longue que celui infligé au Nouvelliste par le FC Sion.
Par soucis de transparence et dans le but que chacun puisse se faire sa propre opinion, le FC Sion met aujourd'hui à disposition du public ses récents échanges avec la direction du @lenouvelliste. Excellente journée à toutes et à tous. Hop Sion ! ⚪️🔴 pic.twitter.com/1iHlFpHi2l
— FC Sion (@FCSion) July 29, 2019
Que l’on soit d’un côté ou de l’autre de la ligne de démarcation, les avis divergent et rien ne semble pouvoir les rapprocher. «Par souci de transparence et dans le but que chacun puisse se faire sa propre opinion», le FC Sion a diffusé cette semaine sur ses réseaux sociaux les récents échanges entre les directions du club et du journal. Les échanges sont courtois et le vouvoiement fait rapidement place au tutoiement. Sans toutefois mener à une solution. Christian Constantin termine sa dernière lettre, datée du 12 juillet, en précisant qu’il «est préférable que nous maintenions nos positions actuelles avec lesquelles chaque partie pourra continuer de vivre avec des rapports francs et cordiaux». La levée du boycott ne semble pas pour demain.