Victoire totale des cantons de montagne, dont le surnom d’«OPEP des Alpes» est peut-être plus d’actualité que jamais: le Conseil fédéral maintient à 110 francs par kilowatt de puissance brute le montant de la redevance hydraulique, et cela jusqu’en 2024. Au terme de la procédure de consultation, qui a montré que les cantons alpins et les producteurs d’électricité avaient des vues diamétralement opposées, le gouvernement a entendu les premiers et donné tort aux seconds. C’est une surprise.

Le projet mis en consultation faisait un pas en direction des entreprises électriques. Il proposait d’abaisser à 80 francs par kW le montant de cette taxe qui grève le droit d’utiliser les ressources aquifères pour produire de l’électricité, et cela dès 2020. Il envisageait aussi de la flexibiliser dans une deuxième étape. Comme le demandait l’Association des entreprises électriques suisses (AES), soutenue par les organisations économiques nationales, l’industrie des machines (Swissmem) et les villes, le droit d’eau aurait été subdivisé dès 2023 en une part fixe et une part variable tenant compte du marché. Ce scénario a fait long feu. Le Conseil fédéral l’a écarté. Il repousse l’idée d’une scission en deux parties au-delà de 2024. Des modèles seront étudiés, promet-il.

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Pas à cause de la redevance

Dans son message au parlement, il explique que «l’abaissement temporaire du plafond de la redevance hydraulique n’a pas obtenu l’adhésion de la majorité» et la flexibilisation a été jugée «prématurée». Le gouvernement souligne que «la plupart des cantons estiment que les déficits de la branche de la force hydraulique évoqués ces dernières années par les exploitants et les entreprises d’approvisionnement en énergie ne sont pas liés à la redevance hydraulique mais à de mauvais choix politiques et économiques».

Le Conseil fédéral ne le dit pas, mais cette remarque vise en particulier Alpiq et Axpo, ceux qu’on a aussi appelés les «barons de l’électricité». Il ne souhaite pas leur venir en aide par le biais d’une diminution de la taxe qu’ils paient aux collectivités publiques des régions montagneuses. Celles-ci sont évidemment ravies de la volte-face du gouvernement. La Conférence gouvernementale des cantons alpins (CGCA) estime qu’il n’existe «aucune raison» d’abaisser le plafond de la redevance hydraulique. Dans une étude publiée l’été dernier, elle a démonté l’argumentation de la branche pour démontrer que celle-ci continuait de «générer des bénéfices avec l’hydroélectricité».

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544 millions, dont 148 pour le Valais

Cette taxe a rapporté aux régions de montagne 544 millions de francs en 2016. Les principaux bénéficiaires sont le Valais (148 millions), les Grisons (124 millions), le Tessin (55 millions), Argovie (50 millions, canton qui ne se trouve pas dans les Alpes mais produit beaucoup d’énergie hydraulique) et Berne (45 millions). Le scénario mis en consultation aurait privé les deux premiers nommés de, respectivement, 40 et 30 millions de recettes annuelles.

Les cantons n’ont pas l’obligation d’appliquer le montant maximal. Ainsi, en 2015, Berne a renoncé à le relever de 100 à 110 francs par kW comme il en aurait eu la possibilité. Il s’est ainsi privé de 3,9 millions de recettes. Chacun reste ainsi libre de décider de ce qu’il fera après 2020.

Du côté des électriciens, c’est la soupe à la grimace. Le directeur de l’AES, Michael Frank, critique ce retour en arrière. «On cimente des structures désuètes», déplore-t-il. Il regrette que le Conseil fédéral n’ait pas eu le courage de prendre des mesures tournées vers le futur. Il considère par ailleurs que le choix du gouvernement est contraire à la Stratégie énergétique 2050, qui vise à promouvoir les énergies renouvelables indigènes.

Le poids du Tessin?

En coulisses, on murmure que le revirement du gouvernement est sans doute lié à l’arrivée d’Ignazio Cassis. On relève que le président de la CGCA, le conseiller d’Etat tessinois Christian Vitta, est du même canton et du même parti que lui. Par ailleurs, l’UDC et le PDC, parti de Doris Leuthard, se rangent volontiers dans le camp des cantons de montagne.

La suite? Ce sera au parlement de trancher. Ce dossier sensible promet de déclencher des débats homériques, comme ceux que l’on a connus à la fin de la décennie précédente, lorsqu’il fut décidé de relever la redevance hydraulique de 80 à 100, puis à 110 francs par kW. L’AES et economiesuisse assurent déjà qu’elles feront tout pour que le parlement corrige le tir et opte pour une solution plus moderne et favorable à l’économie. Elles maintiennent leur volonté de ramener le plafond de la taxe à 80 francs par kW et de la flexibiliser.


En vidéo: une évocation de la crise des barrages helvétiques.