A Salvan, malgré l’arsenic, on boude l’eau en bouteille
Eau potable
Depuis le 1er janvier, l’eau du robinet de plusieurs communes suisses n’est plus considérée comme potable en raison d’un taux d’arsenic trop élevé. Mais le changement de législation ne semble pas inquiéter la population, qui ne modifie pas ses habitudes

«Un café, verre d’eau arsenic, s’il vous plaît.» Cette commande passée ce vendredi dans un café de Salvan résume à elle seule le sentiment qui domine dans le village valaisan. Depuis le 1er janvier, l’eau de la commune est impropre à la consommation, en raison d’une teneur en arsenic trop élevée, mais la majorité de la population n’en a cure. La quasi-totalité des habitants continue de la boire.
Aucune modification n’est intervenue la nuit de la Saint-Sylvestre concernant l’alimentation en eau potable de la commune. L’or bleu provient toujours des neuf mêmes sources. L’arsenic, qui se trouve naturellement dans certains types de roches, est dissous par l’eau qui s’infiltre et se retrouve dans l’eau potable, que les Salvanins ont toujours consommée. Ce qui a changé, c’est la législation.
Une recommandation de l'OMS
La Suisse a décidé de suivre une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et d’abaisser la limite de 50 à 10 microgrammes d’arsenic par litre d’eau, il y a cinq ans, le 1er janvier 2014. Afin de fixer cette limite, les experts de l’OMS ont tenu compte de l’effet cancérogène de la substance sur la peau, la vessie et les poumons.
Situées en Valais, au Tessin et dans les Grisons, les communes concernées par un taux d’arsenic compris entre 10 et 50 microgrammes par litre avaient jusqu’à la fin de l’année dernière pour mettre leur réseau en conformité. Mais, à l’image de Salvan, toutes ne l’ont pas fait.
Plusieurs millions pour mettre aux normes
«La solution pour obtenir une eau qui respecte la nouvelle législation coûte, pour notre commune, 3,5 millions de francs, explique Florian Piasenta, le président de Salvan. C’est problématique pour la commune la plus endettée du Valais.» A son bureau, le président est agacé. «L’Etat laisse tomber les six ou sept communes concernées en Valais, peste-t-il. Si nous étions une cinquantaine de communes ou si des villes comme Sion ou Martigny étaient touchées, il en aurait été autrement.» Il en est persuadé.
Florian Piasenta est d’autant plus fâché qu’en ce qui concerne l’eau, le canton peut se montrer beaucoup plus intéressé. «L’Etat nous prend 60% des redevances hydrauliques. A ce niveau-là, il ne demande pas aux communes de se débrouiller toutes seules», fulmine-t-il. Il n’en demeure pas moins que l’approvisionnement en eau relève des compétences communales et qu’en Valais d’autres communes concernées par la même problématique l’ont réglée dans le temps imparti.
Dans les bistrots du village, le mécontentement se fait aussi sentir. «L’argent investi pour mettre aux normes le réseau d’eau va bloquer d’autres projets, s’emporte Cédric, un habitant de Salvan, en buvant son café. Il y a une vingtaine d’années, on nous disait qu’on ne pouvait rien faire avec notre eau parce qu’elle était trop pure. Aujourd’hui, on la compare à celle d’un pays comme le Bangladesh [ndlr: 43 000 personnes perdent la vie chaque année au Bangladesh, contaminées par l’arsenic de l’eau qu’elles boivent, selon l’ONG Human Rights Watch]. C’est de la paranoïa.»
Peu de gens intéressés par l’eau en bouteille
Pour accompagner son café, Cédric boit un verre d’eau du robinet. Et non pas de l’eau en bouteille, que la commune se doit de fournir aux établissements publics et aux habitants qui en font la demande. Ils sont rares, à Salvan, ceux qui préfèrent l’eau en bouteille. «Actuellement, sur les quelque 3500 habitants et résidents secondaires de la commune, seuls 25 ménages ont fait les démarches qui leur donnent le droit», précise Florian Piasenta.
Giorgio, qui possède une résidence secondaire dans la commune, sort du magasin avec un pack d’eau sous le bras. Mais il ne sait pas vraiment pourquoi: «Nous avons reçu un tout-ménage de la commune qui nous expliquait que l’eau du robinet était impropre à la consommation et que nous avions droit à de l’eau en bouteille. Je lui fais confiance», explique-t-il simplement en avouant avoir bu de l’eau du robinet quelques heures auparavant.
Ici, beaucoup de gens pensent que les multinationales actives dans l’eau minérale y sont pour quelque chose
Attablée dans un café de Salvan, Marie-Noëlle s’interroge. Habitante de Finhaut, une autre commune valaisanne concernée par la problématique, elle ne fait pour l’heure pas partie des cinq personnes qui se sont manifestées auprès des autorités pour obtenir gratuitement de l’eau en bouteille. Mais elle pourrait changer d’avis. «Je pense surtout à ma petite-fille d’une année. Je vais me renseigner sur le sujet et sur les risques pour la santé. Il me semble que l’on se pose beaucoup de questions, mais que l’on n’obtient pas les réponses désirées.»
Au coin du bar, un homme pense avoir une partie de la réponse. «Vous ne vous êtes jamais demandé d’où vient cette nouvelle norme? interroge-t-il. Ici, beaucoup de gens pensent que les multinationales actives dans l’eau minérale y sont pour quelque chose.» L’argument sanitaire ne fait pas mouche auprès d’une population qui boit l’eau incriminée depuis des décennies. «Dans notre commune, il n’y a jamais eu de cas de cancers liés à l’arsenic», souligne Florian Piasenta.
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«Cette nouvelle norme est excessive»
A Finhaut aussi, «la logique l’emporte sur la polémique», résume Pascal May. Mais la situation a de quoi irriter le président de commune. «Cette nouvelle norme est excessive. Les études scientifiques pour prouver son bien-fondé se contredisent. Pourquoi avoir fixé la norme à 10 microgrammes et non pas à zéro ou à 20?» questionne-t-il. Cette dernière possibilité aurait permis à la commune de conserver une eau propre à la consommation d’un point de vue légal et, ainsi, éviter de débourser plusieurs millions de francs pour mettre aux normes le réseau d’eau potable. Car une chose est sûre, la distribution d’eau minérale par les communes est une situation qui ne peut être que temporaire.
Les collectivités publiques doivent trouver le moyen de fournir à leurs habitants une eau qui respecte les normes en vigueur. Filtrer l’eau pour diminuer le taux d’arsenic, exploiter de nouvelles sources, les solutions sont multiples. Vernayaz, qui avait prévu de fournir des bouteilles à sa population, a par exemple décidé de mélanger son eau à celle de la commune voisine de Martigny. L’eau fournie aux habitants est désormais importée à hauteur de 70%, selon une information de Rhône FM. Ce mélange permet de réduire le taux d’arsenic et de rentrer dans le cadre légal. Mais cette solution n’est que provisoire, selon le président, Blaise Borgeat. La commune étudie plusieurs variantes pour, à tout le moins, inverser la proportion entre l’eau de la commune et l’apport extérieur.