Morale
Fraîchement nommé collaborateur scientifique de la Commission de bioéthique des évêques suisses, le philosophe valaisan tente de traduire le message biblique dans notre société actuelle

Depuis son bureau de la rue des Alpes à Fribourg, Stève Bobillier prend la mesure du mandat qui l’attend. Les développements de la biologie et de la médecine ont poussé l’Eglise à devoir se positionner sur de nouvelles questions de société. Que penser du clonage, du transhumanisme, de l’avortement ou encore de l’euthanasie? Pour pouvoir se faire un avis, l’Eglise catholique a mandaté un groupe d’experts, médecins, philosophes et théologiens, au sein duquel travaille ce Valaisan d’origine.
D’une voix douce, le chercheur explique le rôle de cette commission: «Evidemment, l’Eglise possède sa doctrine, mais face à des problèmes si complexes, il n’existe pas de réponses toutes faites. Les évêques nous demandent donc d’envisager des solutions qui prennent en compte tant les personnes, avec leurs désirs et leurs souffrances, que des arguments rationnels et théologiques.»
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Un exemple: le dilemme face au suicide assisté
Pour donner un exemple, Stève Bobillier évoque le dilemme de l’accompagnement pastoral face au suicide assisté, pratique dépénalisée en Suisse. «L’Eglise catholique se doit de défendre la vie et les plus faibles. Elle s’oppose ainsi clairement au suicide. En même temps, elle doit accompagner les malades et les mourants. Si une personne qui veut se suicider fait appel à un prêtre, comment celui-ci doit-il réagir?»
Agé de 35 ans, la barbe soignée et en chemise, Stève semble en permanence s’interroger. «Le temps moyen entre la prise du pentobarbital et la mort est de 25 minutes, mais cela peut parfois durer des heures. Ces minutes sont terriblement longues, explique-t-il. Le prêtre peut-il laisser ainsi un individu face à la mort? Comment peut-il à la fois marquer son désaccord et accompagner le mourant? Doit-il par exemple sortir lors de la prise du médicament?»
Un épisode de notre podcast: Dans la vie de Gabriela, accompagnatrice de suicide assisté
Des prises de position qui doivent être acceptées à l'unanimité
Des décisions compliquées qui ne sont pas facilitées par le fait que les prises de position doivent être acceptées par l’unanimité des évêques, malgré des sensibilités différentes. Mais aussi en raison de la crainte de créer des précédents. «Nous devons faire attention à ce que les proches ou les soignants ne pensent pas, même après coup, que la présence du prêtre est un signe de tolérance ou d’acceptation. Et éviter que des organisations comme Exit ou Dignitas puissent dire que l’Eglise suisse soutient le suicide assisté!»
Fraîchement nommé, ce père de jumeaux en bas âge estime ces réflexions toujours plus nécessaires. «Nous recevons des e-mails de médecins, de parents ou encore de prêtres qui nous demandent quelle est la conduite à adopter face à des situations difficiles.» Il estime que sa formation en philosophie aux Universités de Genève et de Fribourg lui a permis de développer les outils nécessaires pour se confronter à ces thématiques complexes.
Sauver une vie par le don de soi est un message central dans la Bible: il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.
Pendant la visite du pape
Présent en juin au discours du pape François à Genève, il tient tout particulièrement à montrer l’ouverture d’esprit de l’Eglise suisse. «François, dans ses réflexions sur l’écologie, l’économie, le dialogue interreligieux, nous pousse à aller de l’avant. Les évêques suisses vont dans le même sens. Notre commission encourage par exemple le don d’organes. Sauver une vie par le don de soi est un message central dans la Bible: il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.»
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Habité par ces questions, Stève Bobillier souhaiterait préparer également un projet interculturel de bioéthique. «Toutes les religions monothéistes défendent la vie. Ce serait très intéressant de voir quels arguments les musulmans et les juifs utilisent, et d’en discuter ensemble. Comme il s’agit d’arguments philosophiques, la réflexion vaut aussi pour les athées et les agnostiques.»
L’interprétation de doctrine et le sens à donner à l’Evangile ne sont pas une nouveauté pour ce docteur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris. Historien des idées de formation, il s’est intéressé, dans le cadre de sa thèse de doctorat, à Pierre de Jean Olivi, un penseur du XIIIe siècle. Tombé dans l’oubli, ce franciscain était très reconnu à son époque. «Certains le considéraient comme un saint. Après sa mort, davantage de personnes se rendaient en pèlerinage sur sa tombe que sur celle de saint François d’Assise», s’enthousiasme-t-il.
En organisant un colloque en octobre prochain à l’Institut suisse de Rome, Stève Bobillier tente de lui rendre justice. «Olivi est un auteur fascinant et incroyablement actuel. En Europe, nous sommes peut-être une dizaine à travailler sur lui, des historiens pour la plupart. C’est l’un des premiers penseurs à avoir introduit la notion de conscience dans la définition de la personne, ce que l’histoire des idées attribue généralement à John Locke au XVIIe siècle.»
Le goût du Moyen-Age
Devenu spécialiste de philosophie médiévale après des études sur les penseurs de la Grèce antique, notre philosophe souhaite également remettre le Moyen Age au goût du jour. «Les gens voient toujours le Moyen Age comme une période sombre et inculte, mais ce n’est pas vrai. C’est l’une des philosophies les plus complexes qui existent.»
En témoignent les manuscrits qu’il a pu étudier à la bibliothèque du Vatican durant l’année 2017, passée à l’Institut suisse de Rome. «L’intérêt du travail philosophique, c’est que les idées ne vieillissent pas. Ce sont les contextes qui changent. Les réflexions d’hier peuvent aider à mieux comprendre notre quotidien et à affronter les problèmes de demain. La dignité de la personne humaine, découverte dès le Moyen Age, est au cœur des enjeux actuels.»