L’affaire bouleverse le Valais culturel depuis plus de deux ans. Si bien que les éléments annoncés par le Ministère public ce mercredi étaient attendus. A la suite de ses investigations, le procureur entend poursuivre le fondateur de la Compagnie de danse Interface. Par voie de communiqué, il indique que le prévenu «devrait être renvoyé à jugement devant le tribunal». Les charges de «séquestration et d’enlèvement, de contrainte sexuelle, de tentative de viol», ainsi que l’élusion de «l’obligation de payer des cotisations sociales» et l’infraction à la loi sur le travail sont retenues.

A ce stade, le fondateur bénéficie toujours de la présomption d’innocence. L’homme n’a d’ailleurs jamais cessé de nier en bloc les accusations à son encontre. Son avocat, Me Guillaume Grand, affirme que ces dernières informations, provenant du Ministère public, ne changent «absolument pas» sa vision du dossier.

L’histoire de ce qui est devenu un feuilleton médiatico-judiciaire a débuté en janvier 2021. Une enquête du Nouvelliste révèle des accusations de «dérives sectaires», mais aussi «d’agressions sexuelles, emprise psychique et exploitation financière» au sein de cette troupe installée alors à Sion et subventionnée par les pouvoirs publics. Celles-ci pointent en particulier son fondateur. Immédiatement, une instruction pénale est ouverte. En janvier 2022, la justice classe une partie du dossier, mais finalement tout s’accélère quelques mois plus tard, lorsque deux plaintes sont déposées.

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La défense apportera «des preuves nombreuses»

Depuis deux ans, la justice enquête donc sur cette affaire et aujourd’hui, le procureur retient de multiples infractions, même si d’autres devront en revanche être classées en raison de la prescription. C’est le cas de «l’abus de la détresse» et des «désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel», note le Ministère public. L’infraction d’emploi d’étrangers sans autorisation devrait aussi être classée, «les éléments de celle-ci n’étant pas réalisés».

«Il sied de préciser que le document rendu ce jour n’est pas encore un renvoi devant le tribunal.» A l’heure de réagir, l’avocat du prévenu Me Guillaume Grand est ferme: «La défense va pouvoir faire valoir l’ensemble de ses moyens de preuves qui seront nombreuses.» Et l’homme de loi d’ajouter: «En tout état de cause, dans le cadre de soupçon d’infraction commise «entre quatre yeux», le Ministère public doit renvoyer le dossier en jugement en raison du principe in dubio pro duriore. [selon ce principe, lorsqu’un doute subsiste, le Ministère public renvoie en accusation le prévenu ndr]. Cela ne signifie absolument pas que mon client aurait commis une infraction et encore moins qu’il sera condamné».

Une «légitimation de la réalité»

De leur côté, Thomas Laubacher et Salomé*, les deux plaignants, disent leur soulagement. Tous deux anciens danseurs d’Interface, ils s’étaient tournés vers la justice pour que d’autres n’aient plus à subir ce qu’ils ont vécu, avaient-ils déclaré au Temps l’été dernier. Aujourd’hui, ils expliquent se sentir entendus et – plus encore – compris. «Ces infractions sont des mots extrêmement forts. Ils légitiment la réalité de la violence de ce que j’ai vécu et des difficultés que je rencontre encore maintenant après ce traumatisme», livre Salomé. La jeune femme, âgée de 17 ans au moment des faits, a témoigné de multiples attouchements et de tentatives de pénétration de la part du fondateur de la compagnie de danse.

La Valaisanne ajoute qu’à ses yeux, la médiatisation de l’affaire a fait la différence sur la temporalité de la justice: «Je pense qu’on serait toujours en train d’attendre qu’elle avance sur le dossier si nous n’avions pas témoigné dans la presse.» Salomé n’a jamais regretté d’avoir libéré sa parole publiquement, malgré les critiques qu’elle a pu recevoir. «On me dit que cette exposition est violente pour la compagnie, or c’est cela qui a permis qu’on nous prenne au sérieux.»

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Rien n’est terminé

«Abus de détresse? Oui. Enfin. Merci.» Le comédien Thomas Laubacher a quitté Interface sur-le-champ à la suite de l’éclatement de l’affaire. Après avoir passé de nombreuses années dans cette troupe qu’il n’a pas hésité à la qualifier de «secte» dans nos colonnes. Ce mercredi, au bout du fil, il raconte à quel point cette «reconnaissance officielle», bien qu’elle «arrive tard», vient éclaircir la «mécanique» trouble dans laquelle il se trouvait il y a encore peu de temps. «On est tellement pris dans un brouillard de doute perpétuel quand on est à l’intérieur de l’emprise. Se dire «j’ai été abusé», et le voir confirmé par un procureur, c’est important pour soi-même.»

L’avocate Me Beatrice Pilloud, qui représente les deux plaignants, estime de son côté que le procureur a fait un «excellent travail». «Il a compris le fonctionnement sectaire mis en place par le fondateur, il mentionne que c’est «un gourou». Il s’agit d’un élément absolument nécessaire pour la reconstruction des victimes.» L’avocate raconte que la partie plaignante a amené de nombreux témoignages écrits en plus des plaintes. «Ils sont le fait de personnes qui ont partagé un bout de la vie d’Interface. Ils sont saisissants et établissent des choses vues ou vécues.»

Reste que rien n’est terminé. Désormais, les parties disposent d’un délai pour requérir des compléments d’instruction. A l’issue de celui-ci, «la justice décidera de la mise en œuvre ou non des moyens de preuve qui seront sollicités, préalablement à une mise en accusation», note le Ministère public valaisan. Me Guillaume Grand disait en juillet dans nos colonnes s’attendre à une «relaxe de son client». Ce mercredi, il affirme être toujours «absolument» confiant pour la suite de la procédure. Les plaignants, évidemment, espèrent une reconnaissance des faits dont ils ont été victimes. Le rideau n’est pas encore tombé sur une affaire qui, déjà, aura laissé des marques en Valais.

*Prénom d’emprunt

Collaboration: Grégoire Baur

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