En Valais, on n’est pas plus homophobe qu’ailleurs
Société
AbonnéUne agression de membres de la communauté LGBTQ+ à Martigny suscite l’émoi et questionne sur l’homophobie dans les régions périphériques. La réalité démontre pourtant qu’il n’y a pas d’opposition ville-campagne sur le sujet

La Suisse célèbre comme jamais elle ne l’a fait auparavant. Les klaxons des voitures rythment cette nuit historique. Pour la première fois depuis 1954, la Nati vient de remporter un match à élimination directe. Contre la France, championne du monde. La joie, l’ivresse de la victoire. Pour tout le pays. Ou presque. A Martigny, un groupe d’ami·e·s se fait agresser, verbalement et physiquement, parce qu’il a arboré le drapeau arc-en-ciel, pour célébrer la qualification de Sommer, Xhaka et compagnie.
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La presse s’empare de cette affaire, qui débouchera sur une plainte. Les articles se multiplient. Le ministre valaisan Mathias Reynard, qui est à l’origine de la norme pénale anti-homophobie acceptée par le peuple suisse il y a près d’un an et demi, se dit «bouleversé» et «révolté». Anne-Laure Couchepin Vouilloz, la présidente de la cité octodurienne, assure que la commune va «suivre la question de près afin de s’assurer qu’aucun terreau de violence ne s’installe».
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Ce fait divers relance le débat sur l’homophobie, dans un canton catholique, à la réputation conservatrice. On se souvient, notamment, des vives oppositions contre l’organisation de la Gay Pride de 2001 à Sion. Alors, le Valais est-il moins tolérant? Les régions périphériques sont-elles moins ouvertes? Géographe, spécialiste des questions de genre et de la sexualité, au sein de la faculté des sciences de la société à l’Université de Genève, Karine Duplan casse ce mythe. «Il faut nuancer l’idée que la ville serait un havre de paix pour les homosexuels. Il n’y a pas d’un côté les centres urbains progressistes et de l’autre les campagnes conservatrices.», appuie-t-elle. Selon la chercheuse, c’est «la distanciation du milieu familial et du réseau d’interconnaissances» qui joue un rôle important pour la communauté LGBTQ+, lors d’un départ vers les centres urbains.
«Les agressions homophobes ont lieu partout»
Historien, spécialiste de l’homosexualité à l’Université de Lausanne, Thierry Delessert ne veut pas non plus généraliser: «Les homosexuels fuient une agression psychique, liée à une homophobie ambiante plus présente dans les petites communautés. Mais les agressions homophobes ont lieu partout, indépendamment que l’on soit en périphérie ou dans un centre urbain.» Gaël Bourgeois a pu le constater. L’ancien président du Parti socialiste du Valais romand a été confronté à l’homophobie «dans des bistrots de villages valaisans, mais aussi en plein cœur de Fribourg». «Les remarques concernant notre sexualité ne sont pas propres au Valais. Elles peuvent survenir n’importe où», déplore-t-il.
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Même si, souvent, ces actes sont tus et donc non répertoriés, les statistiques existantes lui donnent raison. En 2020, 61 agressions fondées sur l’orientation sexuelle, pour la plupart des injures et des insultes, ont été dénoncées dans notre pays, selon un rapport publié mi-mai par plusieurs organisations LGBTQ+ suisses. La majorité a eu lieu dans le canton de Zurich. Mais rares sont les statistiques à ce sujet. En Valais, on ne répertorie ce genre d’agressions que depuis le début de l’année. Porte-parole des forces de l’ordre cantonales, Stève Léger précise que, pour l’instant, «seul le cas de Martigny, qui doit encore être qualifié car les investigations se poursuivent, a été signalé».
Le contexte joue un rôle déterminant
Plus que la région ou le lieu de l’agression, c’est le contexte dans lequel cette dernière survient qui semble jouer un rôle déterminant. Pour Karine Duplan, deux éléments sont importants à la compréhension de celle survenue au coude du Rhône: elle intervient en marge d’un match de football, qui plus est une victoire historique de la Suisse. «La représentation du football en tant qu’expression de la virilité est encore très persistante. Ce milieu est souvent sexiste et homophobe. Le contexte du match draine donc un entre-soi masculin et viril, reposant sur une norme hétérosexuelle», souligne la spécialiste.
A cela, il faut ajouter l’exacerbation du sentiment d’identité nationale lors des grandes compétitions, telles que l’Euro, qui se joue actuellement. «Le sentiment d’appartenance au pays est très fort. Ce côté «nous les Suisses» émerge, personnalisé par l’équipe, elle aussi masculine, virile et supposément hétérosexuelle», appuie Karine Duplan. Et d’ajouter que, dès lors, il peut exister, chez certains, une volonté d’exclusion des personnes homosexuelles en ce qu’elle ne rentre pas dans cette vision très normée de l’identité nationale.
Porte-parole d’Alpagai, une association valaisanne ouverte à toutes les personnes concernées par les questions d’identité de genre et d’orientation sexuelle, Sébastien Nendaz constate qu’actuellement, «la population accepte les personnes qui célèbrent les victoires de la Suisse avec un drapeau à croix blanche ou albanais, mais qu’elle n’est pas prête pour celles qui arborent un drapeau arc-en-ciel.» Pour lui, le fond du problème est matérialisé par cette agression qui a eu lieu à Martigny. «Les homosexuels ne devraient pas avoir honte d’être qui ils sont et d’afficher leurs couleurs où ils le désirent et quand ils le désirent. Nous ne devrions pas avoir à prêter attention au contexte, pourtant, actuellement, nous devons le faire. C’est la réalité.»