En Valais, un «consensus parental» pour préserver l’enfant lors d’une séparation ou d’un divorce
Protection de l’enfance
Le district de Monthey en Valais teste depuis le début de l’année la méthode dite «de Cochem», qui vise notamment à responsabiliser les parents. Fini la «logique guerrière», place au «pacte de non-agression»

Ils sont une dizaine, réunis dans une salle du centre-ville de Monthey, pour suivre une conférence quelque peu particulière. Tous ont le même point commun: ils sont des parents en instance de séparation ou de divorce. Une heure et demie durant, ils écouteront un avocat et une psychologue parler de toutes les facettes de la séparation – des aspects juridiques à une possible médiation, en passant par les pièges à éviter – en mettant en avant une seule personne: l’enfant. Car, en cas de séparation conflictuelle, c’est souvent lui qui en fait les frais et subit des effets dévastateurs.
Cette séance d’information et de sensibilisation est la première étape d’un nouveau modèle testé depuis le début de l’année dans le district de Monthey, celui de «consensus parental». Egalement appelée «modèle de Cochem», du nom de la ville allemande où ce protocole a vu le jour, cette méthode vise à responsabiliser les parents. «Ils doivent éviter de se désinvestir et de s’en remettre à des tiers, que sont les avocats ou les juges, pour décider du sort de leur enfant, mais trouver des solutions par leurs propres moyens», insiste Camille Rey-Mermet, juge au Tribunal de district de Monthey.
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L’enfant avant tout
Une des particularités de cette nouvelle méthode? Le moment auquel l’enfant est entendu. «Dès l’âge de 6 ans, son audition se fait avant celle de ses parents par le juge», souligne Me Christophe Quennoz. Devant l’assistance, la psychologue Laurence Bagnoud-Roth prend le relais de l’homme de loi et multiplie les explications pour rappeler que le but est «d’éviter de mettre l’enfant au centre du conflit, si la séparation est compliquée». Les conseils sont nombreux: «préservez votre enfant de vos propres émotions», «n’attaquez pas votre ex-conjoint, car c’est 50% de votre enfant que vous attaquez» ou encore «n’utilisez pas votre enfant comme messager». Ce dernier doit subir le moins de dommages possibles.
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L’objectif du modèle de Cochem est d’éviter que le procès n’aggrave le conflit parental. «Le caractère écrit de la procédure et sa durée accroissent le risque que les parents se lancent dans une surenchère émotionnelle en s’agressant mutuellement et en montant en épingle le moindre incident», constate Camille Rey-Mermet. Les parents doivent donc «abandonner la logique guerrière, pour aller vers un pacte de non-agression», ajoute la juge. Mais ils ne sont pas seuls à devoir modifier leur comportement.
La nécessaire collaboration interdisciplinaire
Ce nouveau modèle nécessite une certaine évolution des mentalités de l’ensemble des personnes qui interviennent dans le cadre d’une séparation. Des avocats aux juges, en passant par l’Office cantonal de protection de l’enfant, tous ont été sensibilisés à ce nouveau processus, car, appuie la juge Camille Rey-Mermet, «la collaboration interdisciplinaire est la clé de cette méthode», qui offre des outils supplémentaires.
Car il ne s’agit pas d’une révolution. Pour Me Olivier Derivaz, le bâtonnier de l’Ordre des avocats valaisans, le modèle de Cochem, «structure et formalise un processus non combatif que nombre d’avocats utilisaient déjà». S’il ne bouleverse pas les habitudes, il engendre tout de même quelques modifications comportementales. Afin de trouver des solutions pratiques, les discours visant à mettre la faute sur l’autre parent sont, par exemple, court-circuités. «Il faut faire abstraction des comportements des uns et des autres. Le tribunal n’acceptera pas de discussion où l’on se jette de la vaisselle à la figure», image-t-il.
«Limiter aux informations utiles et objectives»
Cela est valable lors de l’audience, mais aussi en amont. Les formulaires utilisés par les avocats pour faire valoir leurs griefs sont réduits au strict minimum. Fini les longues diatribes envers l’ex-conjoint, la majorité des réponses sont sous forme de cases à cocher. «Ce processus permet de nous limiter aux informations utiles et objectives», analyse Camille Rey-Mermet.
Il arrive toutefois que dans des situations très envenimées, l’entente parentale soit tout bonnement impossible. «Dans ce genre de cas, la méthode de Cochem permet aux professionnels de réagir rapidement afin de mettre en place des mesures de protection pour les enfants», détaille la juge.
Les parents qui s’apprêtent à quitter la salle sont au début du processus. Ils reçoivent un document attestant de leur présence à cette séance obligatoire. Leur chemin de vie leur fait prendre part à ce projet pilote, qui en est à ses prémices. Si, à Monthey, il est trop tôt pour tirer des enseignements, ailleurs, que ce soit à Cochem, en Belgique ou encore dans le canton de Bâle, ce modèle a fait ses preuves.
Isabelle Vuistiner-Zuber: «Qui veut trop faire l’ange fait la bête»
La fondatrice et présidente du Mouvement suisse pour la coparentalité responsable estime notamment que le manque de formation continue pointue dans le domaine de la protection de l’enfance est problématique
Le domaine de la protection de l’enfance est en pleine mutation, dans de nombreux cantons suisses. Face à cette réalité, et aux nombreuses sollicitations de parents démunis, Isabelle Vuistiner-Zuber a rédigé, sur la base de récits de vie, son livre Protection de l’enfance. Lettre ouverte à tous ses acteurs (Ed. Soleil Blanc) et fondé, dans la foulée, en septembre 2018, le Mouvement suisse pour la coparentalité responsable (MSCR), dont elle est la présidente.
Le Temps: Vous avez fondé le MSCR, preuve que vous estimez que le système actuel de protection de l’enfance n’est pas optimal. Quelles sont, pour vous, les raisons qui expliquent ces difficultés?
Isabelle Vuistiner-Zuber: La société dans laquelle nous vivons est de plus en plus normative et la protection de l’enfance n’y échappe pas. On tente de normer ce que doit être un bon milieu familial, sans prendre en compte les mentalités ou les coutumes de chacun. Et ainsi, on se fait parfois une fausse idée de ce que sont les besoins des enfants, auxquels il ne faut, par exemple, pas nécessairement une chambre individuelle pour grandir sereinement. Le manque patent de formation continue pointue dans le domaine de la protection de l’enfance, qui permettrait plus de discernement, est également problématique, car il entraîne des interventions à tort et à travers. Et qui veut trop faire l’ange fait la bête. On se retrouve ainsi dans une situation où deux groupes s’affrontent: les parents contre les autorités. L’arrogance et la suffisance occasionnelles, ainsi que les certitudes de ces dernières, basées sur une autorité de fonction pas toujours accompagnée de celle de compétence, aboutissent parfois à des réactions haineuses de parents malmenés.
La solution passe donc par une meilleure formation des acteurs de la protection de l’enfance?
Oui, mais aussi par une responsabilisation des parents. Il faut les sensibiliser notamment aux enjeux d’un divorce pour leurs enfants. Les parents ont des devoirs vis-à-vis de leur progéniture. S’ils ne les respectent pas, notamment s'ils tentent d'entraver les contacts de l'enfant avec l'autre parent, il ne faut pas hésiter à les rappeler à l’ordre. Quitte à passer par des sanctions pour qu’ils intègrent tous ces aspects. Modifier uniquement la structure du fonctionnement actuel du domaine de la protection de l’enfance ne suffira pas, il faut en modifier les modalités, en donnant des responsabilités aux parents et en se dirigeant vers une vraie interdisciplinarité, entre les acteurs du domaine.
Vous proposez des améliorations, mais existe-t-il un modèle parfait?
Non, mais le modèle de consensus parental, également appelé protocole de Cochem, me paraît le meilleur, car il propose une vraie interdisciplinarité et la remise de la responsabilité première aux parents.