Vers une pénurie en Suisse: «Personne ne peut garantir qu’il y aura assez de gaz»
Énergie
Après le risque d’une pénurie d’électricité, voici la crainte de devoir passer un hiver sans gaz. Les experts et les politiciens, à l'image de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, sont unanimes: le danger n’est pas à prendre à la légère

Alors que les flux de gaz russe à destination de l’Europe n’ont cessé de diminuer ces derniers mois, le gouvernement craint le pire. Mercredi, le Conseil fédéral a annoncé que le secteur gazier a mis en place, sous l’égide de l’Association Suisse de l’Industrie Gazière (ASIG), une task force nommée «Approvisionnement hivernal 2022/2023», dans le but de créer des réserves pour éviter une pénurie dans les prochains mois.
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Dans un texte commun, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) et le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) se montrent alarmants. «La Suisse ne dispose pas d’installations de stockage de gaz en propre et dépend donc entièrement des importations. Jusqu’à trois quarts des livraisons de gaz en Suisse se font via l’Allemagne. La Suisse serait donc également touchée par des pénuries de gaz dans l’UE et en particulier en Allemagne. Si les installations de stockage ne peuvent pas être remplies comme prévu, une situation de pénurie ne peut pas être exclue pour l’hiver prochain.»
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Fini les saunas et les escalators
Interviewé dans le SonntagsBlick, Lukas Küng, chef de l’organisation OSTRAL pour l’approvisionnement d’électricité en cas de crise, assure qu’une pénurie n’est plus un fantasme et qu’il faut s’y attendre. Les conséquences pourraient être dramatiques. «La circulation ne fonctionnerait plus, les feux de signalisation tomberaient en panne et les tunnels seraient fermés. Les transports en commun seraient paralysés.» Seules les installations existentielles seraient épargnées. «Les hôpitaux disposent d’une alimentation électrique de secours», précise Lukas Küng.
Mais avant d’en arriver là, le spécialiste indique que certaines interdictions pourraient être imposées à la population. «Sauna, bain à remous, piscines, climatisation, escalators, ascenseurs, etc.» En dernier recours, les experts d’Ostral esquissent le cas extrême que redoutent les entreprises et les politiques: les coupures d’électricité cycliques. L’électricité serait alors coupée dans certaines zones pendant quatre à huit heures.
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La ministre suisse de l’Energie Simonetta Sommaruga analyse la situation dans la SonntagsZeitung: «Il est important que nous nous débarrassions le plus rapidement possible de notre dépendance au gaz. Quiconque peut encore remplacer son chauffage au gaz devrait le faire», conseille-t-elle. Mise sous pression par l’aile droite de l’échiquier politique, la Socialiste peine à se montrer rassurante sur la question d’un risque de pénurie cet hiver. «Le Conseil fédéral a pris les devants, mais la Suisse n’est pas une île. Personne ne peut garantir qu’il y aura toujours assez de gaz pour tout le monde.»
L’hydraulique comme solution
Les 300 000 ménages qui se chauffent au gaz en Suisse peuvent toutefois se sentir rassurés. «Si une pénurie de gaz et d’électricité devait se produire, l’énergie serait d’abord rationnée dans l’artisanat et l’industrie», prévient la Bernoise, qui souligne que le Conseil fédéral veut épargner les ménages le plus longtemps possible. À noter encore qu’avec les températures actuelles, le Conseil fédéral ne compte pas se pencher sur des restrictions dans l’immédiat.
Toujours dans la SonntagsZeitung, un groupe d’investisseurs prévoit de relancer un projet énergétique au Tessin. «Si tout se passe bien et que les autorités nous soutiennent, nous pourrons produire du gaz naturel en Suisse à partir de fin 2025», déclare Pietro Oesch, pionnier de l’exploration gazière au Tessin. Avec l’augmentation des prix du gaz, produire en terre helvète pourrait devenir une solution aussi intéressante que d’importer. Pour Pietro Oesch, les gisements sont suffisamment importants pour couvrir les besoins sur deux à trois générations. L’entrepreneur regrette toutefois le manque d’anticipation des politiciens. «Si les responsables avaient remarqué les signaux d’avertissement, ils n’en seraient jamais arrivés là.»
Finalement, Le Matin Dimanche s’intéresse à l’une des solutions les plus fiables pour lutter contre le risque des pénuries: l’hydraulique. «Dans une trentaine d’années, le Valais sera un véritable baron de l’énergie en Suisse», prédit l’hebdomadaire. Stéphane Maret, directeur des Forces Motrices Valaisannes (FMV) témoigne qu’en ce moment, une frénésie s’empare de la branche: «Il y a une année encore, certains ouvrages vendaient leur énergie à perte. Aujourd’hui, ça n’arrête pas de frapper à notre porte.» Mais alors que la Confédération a identifié cet hiver quinze nouveaux projets hydroélectriques urgents, l'hebdomadaire dominical rappelle qu’il y a tout juste cinq ans les énergéticiens suisses avaient tourné le dos aux barrages à cause des prix. «Aujourd’hui, le poids des barrages se mesure en kilowatheures à̀ produire. Demain, c’est peut-être de litres d’eau dont il sera question. Et bien malin alors celui qui sera maître de cette ressource», conclut le journaliste.
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