Yan Moret, l’orfèvre des reines d’Hérens
artisanat
Le Valaisan est l’un des rares à fabriquer des sonnettes pour vaches dans son canton. D’un hobby, sa passion pour le feu et la forge s’est muée en un métier qu’il pratique désormais six mois par année. Le temps d’en fabriquer environ 300

Fixée à l’oreille gauche, une sonnette de vache au format miniature danse en suivant les mouvements de tête de Yan Moret. Le bijou matérialise la passion que porte le Valaisan à ces objets, qu’il façonne de ses mains depuis près de vingt ans. «Il n’y en a pas que sur l’oreille», glisse-t-il dans un rire malicieux. L’artisan forgeron s’est également fait graver cette passion dans la peau. A l’encre noire.
Dans sa forge de Vissoie, carrefour névralgique du val d’Anniviers, Yan Moret s’affaire sur une commande spéciale. Il fabrique 23 des 46 sonnettes qui feront office de lots lors de la finale nationale des combats de reines, qui se déroulera le week-end des 13 et 14 mai, dans l’arène de Pra Bardy, à Sion. Sa marque de fabrique? Un edelweiss, qu’il porte sur le bandana bleu qui recouvre sa tête, mais qu’il grave surtout dans l’acier de ses sonnettes, dont la taille varie en fonction de la vache qui la porte. «Je fabrique 11 tailles différentes», détaille l’artisan, dans un accent qui trahit son origine d’un autre val, celui d’Entremont. Et de préciser qu’il ne crée pas les courroies en cuir qui supportent les sonnettes.
Un seul critère de jugement
Pour chaque modèle, le travail est le même. Tout commence par une plaque d’acier d’un mètre sur deux, qu’il faut détailler. Chaque sonnette est constituée de deux parties, que Yan Moret viendra souder pour former l’objet fini. En tout, la fabrication nécessite près de 25 étapes, allant de la tape au marteau à la mise en place du battant, en passant par le meulage ou le sablage de l’acier. Ce n’est qu’une fois toutes ces étapes terminées que Yan Moret peut juger la qualité de son travail. Et il n’y a qu’un seul critère: «Une bonne sonnette n’a qu’un son, qu’il soit clair ou grave.»
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La raison d’être des fabrications de Yan Moret est de se retrouver au cou d’une vache, principalement celle de la race d’Hérens. Mais l’objet pratique devient aussi parfois œuvre d’art, pour décorer un chalet ou une résidence secondaire. D’autres, en revanche, ne sortiront jamais de l’atelier anniviard. Un manque de concentration ou un acier de moins bonne qualité et c’est une sonnette qui ne sera pas commercialisée. Sur les quelque 300 qu’il produit chaque année, Yan Moret estime à 10% le nombre qui a un défaut. Et ce sont quelques heures de travail qui s’envolent. «Je mets quatre heures pour fabriquer une sonnette, alors qu’industriellement, cela pourrait être fait en trente minutes. Mais si j’industrialisais ma pratique, je ne serais plus aussi passionné», glisse-t-il.
Une passion née par hasard
La passion de Yan Moret pour le feu et la forge naît un peu par hasard, il y a deux décennies. Tôlier en carrosserie de formation et actif comme monteur de voies ferroviaires, il s’intéresse au cours de forge que suit l’un de ses collègues, au point d’y participer. C’est le coup de foudre. Il commence dès lors à bricoler quelques objets, durant son temps libre. Mais dans un coin de sa tête trotte une idée: fabriquer des sonnettes. «Il n’y a pas forcément de lien entre mon envie et un amour inconditionnel que j’aurais pour la race d’Hérens, indique Yan Moret. Je partage occasionnellement de beaux moments avec ces bêtes. Ce sont des instants où tu te vides la tête, tu ne penses à rien, tu es seul avec les vaches, c’est fantastique.»
Mais comment fabriquer une sonnette? «Le problème, c’est que je n’avais aucune notion», souligne l’artisan forgeron. Il décide donc d’aller à la rencontre de François Giovanola, un autre des rares fabricants de sonnettes en Valais. Ce dernier lui livrera un seul conseil: «Tu fais comme moi lorsque je me suis lancé, tu te démerdes.»
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Le moral en prend un coup. Mais l’envie n’est pas morte. Les essais se multiplient. «J’ai créé de nombreuses «casseroles», avant de trouver la solution pour leur faire donner du son», avoue Yan Moret. La passion de la sonnette prend alors de plus en plus de place dans sa vie. Il y consacre ses week-ends, mais aussi la plupart de ses vacances. «C’était beaucoup trop de travail pour un hobby. Je suis donc passé semi-professionnel.» C’était en 2009, cinq ans après la création de son entreprise spécialisée dans les sonnettes de vache. Son employeur, les Transports de Martigny et régions (TMR), lui permet de prendre des congés non payés: quatre mois par année, puis cinq. Et depuis l’année dernière, il partage à parts égales son entreprise et son métier de concierge au sein de la compagnie de transports.
«Soit on veut travailler avec les artisans, soit on les laisse crever»
Mais l’Anniviard d’adoption sait que le chemin inverse n’est pas impossible. Même s’il ne l’espère pas, il est conscient que la fabrication de sonnettes pourrait ne redevenir que son hobby du week-end. Car les temps sont durs pour l’artisan qu’il est. «L’artisanat, aujourd’hui, c’est travailler beaucoup pour pas grand-chose», soupire-t-il. Le prix de ses sonnettes, allant de 220 à 450 francs selon la taille, n’a pas suivi la courbe de l’inflation. «Il y a tout qui augmente, sauf le prix de la sonnette», souffle-t-il. Et à cela, il faut ajouter la concurrence de celles fabriquées industriellement, aux prix attractifs. Le constat est limpide. Pour Yan Moret, la population doit dès lors se questionner: «Soit on veut travailler avec les artisans, soit on les laisse crever.» Mais il n’y a pas d’entre-deux.
Profil
1971 Naissance à Liddes (VS).
1991 Commence son activité professionnelle aux Transports de Martigny et régions (TMR).
2004 Crée l’entreprise Les Sonnettes Moret.
2009 Devient semi-professionnel dans la création de sonnettes.
2022 S’installe à Vissoie et décide de se consacrer à son entreprise six mois par année.