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Arrivée sur le marché suisse il y a une dizaine d’années, la cigarette électronique a fait face à plusieurs polémiques. Loin de ces questions, l’enseigne yverdonnoise High Creek veut proposer un refuge aux ex-fumeurs

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Centre-ville d’Yverdon-les-Bains, rue du Four, ambiance bien calme. Parmi les diverses échoppes, le High Creek, un café-bar aux allures de coffee-shop, qui n’a rien à envier à ceux que l’on peut trouver à Amsterdam. Sauf qu’à l’intérieur, pas d’alcool, ni de fumée. Mais des fioles. Par centaines. Une cliente pousse la porte vitrée, entame une conversation avec l’homme posté derrière le bar. «Voulez-vous en goûter sur votre doigt? Le goût est-il trop fort? N’oubliez pas de mélanger.» Affaire conclue. Elle repart, porte-monnaie allégé, mais sac rempli de potions. Celles-ci serviront à alimenter sa cigarette électronique, sa «vape».
De l’autre côté du comptoir, Amado. Ancien client, il connaît depuis longtemps cette pièce aux senteurs fruitées, remplie de liquides de mille couleurs. L’ex-fumeur a été séduit par le produit il y a environ 4 ans. Mais c’est surtout l’endroit qui a fait la différence. «J’adorais cette ambiance décontractée et familiale», raconte l’adepte, derrière sa vitre de plexiglas.
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Arrêter la cigarette
«Vous êtes face au bar? Regardez la vitrine derrière vous, il y a des modèles mécaniques réalisés par des artisans.» Présent en temps normal, le gérant Christophe Dumoulin s’est exceptionnellement absenté pour ouvrir un second magasin à Sainte-Croix, au-dessus d’Yverdon. Mais son absence ne l’empêche pas de faire une visite guidée des recoins de son échoppe à distance. Ce concept de bar de vapotage, l’entrepreneur est un des premiers à l’avoir implanté en Suisse romande en 2016. Et ça marche.
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Seulement, ici comme ailleurs, la pandémie l’aura poussé à mettre en place des réglementations sanitaires… et beaucoup de ventilateurs. Certaines habitudes qui faisaient alors le charme de l’établissement ont été bannies. On ne tire plus sa vapeur à l’intérieur et on ne serre plus la main en arrivant. Reste tout de même le tutoiement, les chaises hautes rembourrées et le rap américain en fond. Assez pour inciter les visiteurs à y passer plus de cinq minutes, les cheveux au vent.
C’est ici que le vrai travail d’Amado commence. Une fois les intéressés installés et le café servi, les conversations tournent autour de l’arrêt du tabac et des stratégies pour réduire le taux de nicotine. Les habitués ont leur coin préféré, au fond du bar. Les novices, timides, restent proches de la porte d’entrée. «Nous avons aidé beaucoup de nos clients à arrêter la cigarette conventionnelle, et, plus tard, la cigarette électronique», reprend Christophe Dumoulin, qui ne craint pas de perdre ses clients à terme. «Il y a bien assez de monde souhaitant arrêter la cigarette». L’homme d’affaires admet cependant que tous ne vont pas jusqu’à l’arrêt complet du vapotage.
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Experts divisés
Mais un vendeur de cigarette électronique peut-il vraiment conseiller des addicts à la nicotine? Dans le secteur médical, la question fait trembler. Pour Christophe von Garnier, médecin-chef du Service de pneumologie au Centre hospitalier universitaire vaudois, l’accompagnement au sevrage du tabac doit être réalisé par des professionnels formés. «Ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire simplement par bonne volonté», explique-t-il. «Remplacer une addiction par une autre n’est pas toujours bénéfique et nous manquons de données à long terme sur les effets secondaires du vapotage. La cigarette électronique ne peut pas être proposée de manière systématique», termine l’expert, en évoquant plusieurs cas d’inflammations pulmonaires chez de jeunes patients en Suisse et à l’étranger ces dernières années.
Malgré les risques, d’autres y perçoivent des avantages. «Bien sûr, certains vape shops sont davantage dans la vente que le conseil», explique Reto Auer, médecin généraliste et co-responsable d’une étude multidisciplinaire en cours sur les effets de la «vaporette». Celle-ci est soutenue par le Fonds National de Recherche Scientifique, le Fonds de prévention du tabagisme et la fondation Recherche Suisse contre le cancer. «Mais ces endroits permettent d’accompagner des personnes que le monde des soins ne toucherait pas forcément, reprend le chercheur à l’Institut bernois de médecine de famille. De plus, lorsque l’on quitte la cigarette, tout l’aspect social qui va avec disparaît. Avec la cigarette électronique, on retrouve une nouvelle famille, une nouvelle identité.»
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Et c’est précisément ce qu’offre le bar yverdonnois, dans lequel la visite touche à sa fin. Salutations chaleureuses. Si l’assistance au sevrage de tabac offerte dans ce type d’établissement n’est pas reconnue par tous les experts, sa promesse sociale, elle, est respectée.