Publicité

Amir Attaii, réfugié afghan devenu champion ferblantier

Il a fui les talibans pour se réfugier en Suisse, dont le drapeau évoquait celui de la Croix-Rouge. Bien encadré au sein d’une entreprise de Prilly, il a remporté la médaille de bronze aux championnats suisses des métiers, les SwissSkills

Amir Attaii: «Quand il y a des attentats talibans à tout instant autour de chez toi, tu ne sais pas si tu seras la prochaine victime.», le 4 février 2023. — © Eddy Mottaz/Le Temps
Amir Attaii: «Quand il y a des attentats talibans à tout instant autour de chez toi, tu ne sais pas si tu seras la prochaine victime.», le 4 février 2023. — © Eddy Mottaz/Le Temps

La trajectoire d’Amir Mohammad Attaii, jeune réfugié d’origine afghane, est inspirante, exemplaire. Elle apporte une nuance bienvenue après les tragédies qui ont endeuillé deux foyers genevois de requérants d’asile en décembre et janvier. Oui, les réfugiés qui arrivent chez nous méritent qu’on examine attentivement leur cas. Oui, il importe de commencer par leur faire confiance. Et oui, il vaut la peine de leur donner leur chance. Tout le contraire de ce qui s’est passé pour Alireza, le jeune Afghan de 18 ans qui s’est suicidé le 1er décembre après avoir appris son renvoi vers la Grèce.

Amir Attaii est né le 1er janvier 1997. «Ce qui fait le 12 octobre 1375 dans le calendrier persan», précise-t-il. Car à la maison il parle le dari, la langue persane de la majorité des Afghans. Avec ses parents et son frère, il habite la province de Bamiyan, connue pour ses trois bouddhas monumentaux détruits par les talibans en 2001. Son père, ferblantier, est décédé il y a deux mois. Il ne l’avait jamais revu, forcé de se contenter de conversations régulières sur WhatsApp avec ses parents.

Lire aussi: Un nouveau suicide d’un requérant d’asile a eu lieu à Genève

«Pas de promesse d’avenir»

Amir a pris le chemin de l’exil en 2015, à l’âge de 18 ans. Le retrait des troupes de l’OTAN s’était conclu quelques mois auparavant, les talibans multipliaient les attentats dans le pays et accéléraient leur reconquête territoriale qui allait s’achever à l’été 2021 avec le départ précipité de Kaboul des dernières troupes étrangères. «Quand il y a des attentats talibans à tout instant autour de chez toi, quand tu ne sais pas si tu seras la prochaine victime, il n’y a pas de promesse d’avenir. Les talibans étaient partout.»

Tous nos articles sur le thème des migrations.

Amir prend un avion jusqu’en Turquie. Depuis les rivages d’Izmir, il traverse un bout de la mer Egée jusqu’en territoire grec, sans doute vers Lesbos, mais il n’en est plus certain. En Grèce, la situation était alors plus apaisée qu’aujourd’hui, puisqu’il n’y reste qu’une semaine. Ensuite, c’est la route classique de l’exil: Macédoine du Nord, Serbie, Autriche, arrivée à la frontière suisse à Buchs (SG).

L’ensemble du périple lui aura pris un mois et demi. Pourquoi la Suisse? «En Afghanistan, on voyait partout le drapeau de la Croix-Rouge. Le même que celui de la Suisse en inversant les couleurs», dit Amir en toute simplicité. Enregistré dès son arrivée, Amir sera attribué au canton de Vaud. «J’avais encore 200 euros en poche.» Son frère, qui a suivi ses traces en exil en passant par Dubaï, habite aujourd’hui le canton de Saint-Gall.

«J’ai passé trois mois à ne rien faire dans un bunker de la région de Lausanne. Je parlais juste un peu d’anglais. Puis on m’a donné des cours de français trois fois par semaine.» L’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) le prend en charge. On le pousse à obtenir une attestation fédérale de formation professionnelle (AFP), qu’il empoche en une année. «Je travaillais dans la ventilation, ça ne m’a pas plu, j’avais l’impression d’être surtout exploité.»

Amir Mohammad Attaii, le 4 février 2023. — © Eddy Mottaz/Le Temps
Amir Mohammad Attaii, le 4 février 2023. — © Eddy Mottaz/Le Temps

En 2018, une de ses enseignantes lui déniche un apprentissage en bonne et due forme de ferblantier-couvreur chez E. Deléderray Toitures pour obtenir un CFC. André Hagen, propriétaire et patron de cette entreprise de 25 employés, le prend sous son aile, lui accorde sa pleine confiance. Et, remarquant l’habileté, l’ardeur et la volonté de bien faire du jeune homme, en accord avec l’Ecole professionnelle qui fait le même constat, il l’inscrit aux SwissSkills, les championnats des métiers qui distinguent les meilleurs jeunes apprentis du pays. «Nous étions trois de l’école à participer. C’est moi qui ai le mieux réussi», conclut sobrement Amir Attaii, qui a remporté la médaille de bronze dans son métier. On est en 2021.

Des tracasseries

Depuis, Amir Attaii a aussi passé son permis de conduire, acheté une voiture qu’il a ensuite revendue car son entreprise lui mettait un véhicule à disposition. Il a obtenu son autorisation de séjour (permis B) et habite un quartier sympa de Lausanne. Il s’est marié avec une compatriote afghane qui, pour l’instant, parle suffisamment d’anglais pour se débrouiller mais pas encore le français. Le couple a un petit garçon de deux mois et demi.

André Hagen, le patron d’Amir, décrit un employé non seulement très habile et motivé mais, en plus, «extrêmement poli et respectueux envers tout le monde». Si Amir a rapidement assimilé le vocabulaire technique de base, il lui manque encore des pans entiers de langage et de connaissances spécifiques. André Hagen: «On ne se rend pas compte des difficultés que peuvent rencontrer des immigrés avec les usages administratifs. Parler plus ou moins bien le français ne vous enseigne pas la manière de conclure un bail ni la nécessité de déposer une caution pour le loyer.» Pour toutes ces tracasseries qui le dépassent encore, Amir peut manifestement compter sur son employeur.

Et comment Amir Attaii entrevoit-il son avenir en Suisse? «J’aime mon métier. Je veux gagner encore en expérience, connaître les circuits, savoir avec qui parler pour obtenir des mandats. Je veux créer un jour ma propre entreprise. Quand on veut, on peut tout faire!»


Profil

1997 Naissance dans la province de Bamiyan.

2015 Arrivée en Suisse.

2018 Débute chez E. Deléderray Toitures, Prilly (VD).

2021 Médaille de bronze aux SwissSkills.


Retrouvez tous les portraits du «Temps».