Le campus de Dorigny prépare sa mue pour vivre 24 heures sur 24
Université
Aujourd’hui, l’activité du campus lausannois cesse le soir après les cours. Mais dans quelques années, des logements accueilleront un millier d’étudiants et le site sera occupé jour et nuit, ce qui nécessite l’ouverture de commerces et de lieux de vie

Un campus de jour, un campus à la campagne. Contrairement à l’Université de Genève, dont les facultés se répartissent au cœur de la ville, avec, à portée de pas, cafés, restaurants et cinémas, le campus de Dorigny est resté bucolique et champêtre. Autour des bâtiments universitaires, ici une forêt protégée, là une rivière qui s’écoule jusqu’au lac, plus bas une immense prairie et un champ cultivé, à côté d’une allée d’arbres majestueux. Le domaine compte deux fermes, des serres et un terrain de permaculture. Une sorte de bulle verte hors de la ville, à dix minutes de métro du centre de Lausanne.
Un écosystème préservé qui vit essentiellement le jour, au rythme des cours et des horaires académiques, avant de se vider à la tombée de la nuit. Mais l’urbanisation du campus est en marche. «La ville avance sur ce joli parc et nous devons accompagner cette évolution», confirme Benoît Frund, vice-recteur chargé de la politique de durabilité, de la gestion et du développement du campus.
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Logements d’étudiants et quartier d’habitations
Ces prochaines années, plusieurs projets importants vont modifier la donne. Vortex d’abord, ce bâtiment circulaire de logements d’étudiants qui devrait être prêt à la fin 2019, au large du quartier des sciences exactes. Dans un premier temps, il sera utilisé pour les Jeux Olympiques de la Jeunesse de 2020, puis il abritera un millier d’étudiants, les premiers de l’Université de Lausanne (Unil) à vivre sur le campus.
Ensuite, en périphérie du campus, à la place de champs cultivés par des paysans de la région, deux autres parcelles vont se métamorphoser. Un nouveau quartier d’habitations devrait sortir de terre, de l’autre côté de l’autoroute, sur des terrains appartenant à la famille Demaurex, propriétaire des magasins Aligro; une passerelle est prévue pour le relier à Dorigny. Le futur «Campus santé» sera construit juste à côté: il comprendra deux bâtiments consacrés à la formation des élèves de la Haute Ecole de santé vaudoise et de la faculté de Biologie et Médecine, ainsi que des logements d’étudiants.
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Nous devons faire en sorte qu’il y ait une vie sur le campus et qu’on s’y sente bien
Face à l’urbanisation, l’enjeu, pour la direction de l’université, n’est pas seulement d’aménager de nouvelles infrastructures, passerelles piétonnes ou parking à vélo, mais également de préparer la mue vers un campus en activité jour et nuit, avec son lot de défis. Benoît Frund résume ainsi l’enjeu: «Comment s’y prendre pour que les étudiants usagers de l’université deviennent des habitants, voire des citoyens. Nous devons faire en sorte qu’il y ait une vie sur le campus et qu’on s’y sente bien. Cela nécessite une offre de services culturels ou associatifs, des commerces de proximité, ainsi que diverses activités. C’est comme dans une ville, il faut assurer la sécurité des habitants, les nourrir et les divertir, ceci en harmonie avec les voisins».
Pour ce faire, l’alma mater peut bénéficier de l’expérience de l’EPFL, qui a déjà un campus fonctionnant en continu, «autant pour les choses qui marchent bien, que pour celles qu’il faut éviter de reproduire», lance Benoît Frund.
Cœur vivant
Plusieurs zones seront concernées par les changements. Le quartier central, où se trouve l’Unithèque, devrait devenir un lieu de vie central. Ce bâtiment qui abrite la bibliothèque et le restaurant universitaire va doubler de surface, 1137 places de travail pour les étudiants et les chercheurs seront créées, avec des horaires d’ouverture étendus; le restaurant sera agrandi. En projet: l’installation de petits commerces, épicerie, librairie par exemple. Une mise en service est prévue à l’horizon 2020.
Ensuite, le cœur historique du domaine autour de la Grange – actuellement un théâtre – et de la ferme – le siège de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe – sera repensé. Il deviendra également une zone plus centrale, un lieu important de passage. «La Grange pourrait devenir un endroit où il y davantage de vie et pas seulement le soir, une sorte de place du village, un carrefour culturel», explique Benoît Frund.
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Vendredi 10 février, un atelier participatif réunira différents acteurs et occupants de ce coin de campus, des architectes, les responsables du théâtre, de la Fondation Jean Monnet et de l’association d’art contemporain Le Cabanon, consultés sur l’avenir du secteur. Histoire de voir comment conserver, en partie du moins, l’âme bucolique des lieux tout en tenant compte des profonds changements à venir.
A côté, les expériences de l'EPFL
Pour préparer l’aménagement du futur grand bâtiment de logements étudiants, dit «Vortex», les responsables de l’Université de Lausanne ont notamment visité un complexe à Copenhague, le Tietgenkollegiet, lequel est aussi rond. Mais qui se limite à 360 logements; le Vortex en aura près de 1000.
L’inspiration peut aussi se trouver chez le voisin. L’EPFL a fait construire ses premiers logements en 2010, année du Learning Center; trois bâtiments au sud du site, offrant 300 places. Trois ans plus tard, 500 chambres, pour 900 personnes environ, sont mises à disposition dans le quartier nord, vers le centre de congrès.
Un changement d'échelle
Dès lors, il a fallu changer d’échelle. Après des vols dans les parkings, notamment, l’Ecole polytechnique a dû renforcer sa sécurité, et surtout étendre ses horaires.
Il faut aussi penser nourriture et soins. La modeste épicerie de l’avenue Piccard, au cœur historique du complexe de l’EPFL, ne suffisait plus pour tant de monde. Le quartier nord est doté des Arcades, une galerie commerciale en équerre, qui comprend, entre autres, une Migros et un Denner, des fast-foods de hamburgers, burritos, poulet et sandwiches, un centre médical, une clinique dentaire… La modeste station du M1 est devenue hors d’échelle; il a fallu l’agrandir. C’est pour l’instant la seule de la ligne à avoir une passerelle ad hoc.
Le campus se construit tout en s’affirmant lui-même comme un objet d’étude. La mobilité devient un enjeu local, pour améliorer les flux et réduire les temps de parcours sur un site qui se dilate, ce qui permet d’expérimenter de nouveaux véhicules.
EPFL-UNIL, différences de sensibilité
Du côté de l’université, on veut «s’inspirer des expériences positives et éviter de reproduire celles qui n’ont pas marché», indique le vice-recteur Benoît Frund. Qui fait état de «valeurs communes» autant que de «différences culturelles». C’est peu dire. Si l’EPFL convoque des grandes marques nationales et régionales pour les commerces, à l’Université, on parle fruits et légumes locaux. Selon les résultats d’un dialogue réalisé dans un atelier participatif, les futurs usagers, sur le site universitaire, ne réclament pas forcément un supermarché, assure le vice-recteur; plutôt des producteurs et commerçants du coin. Il y a déjà quelques précédents, comme ces maraîchers qui viennent proposer leurs produits devant le Géopolis, certains jours de la semaine.
L’organisation carrée et classique du côté polytechnique, l’alternatif et micro-local chez les académiques: même dans sa matérialité, le campus illustre la diversité des modes de pensée sur le site dans son ensemble, et les particularités des deux institutions. (Nicolas Dufour)