Encore un grand bâtiment. En annonçant, mardi, le résultat du concours d’architecture pour le futur édifice dévolu aux sciences de la vie sur le campus lausannois, le canton de Vaud et l’Université de Lausanne ont fait la promesse d’une nouvelle «construction emblématique», selon Pascal Broulis, conseiller d’Etat aux Finances. Conseillère d’Etat à la Formation, Anne-Catherine Lyon parle d’un bâtiment «qui marquera le site».

Dû aux bureaux Baukunst, de Bruxelles, et Bruther, Paris, le volume ne manque visiblement pas d’élégance, avec sa conception toute en vitres, lesquelles donnent sur des coursives qui serviront de voies de circulation. L’ensemble a un petit air de Centre Georges-Pompidou, et ce n’est pas un hasard: le nom de code du projet, «23071933», est la date de naissance de Richard Rogers, lequel, avec Renzo Piano et Gianfranco Franchini, a dessiné le centre de Beaubourg, qui fêtera ces 40 ans dans quelques jours. Une citation architecturale, en somme.

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Les bâtiments doivent être beaux

Devisé à 136 millions de francs, prévu pour 2021 en première phase, le bâtiment doit accueillir 250 chercheurs, ainsi que des centaines d’étudiants de l’Université et l’EPFL qui disposeront de surfaces pour leurs travaux pratiques. Mais il doit aussi être beau. C’est devenu un impératif pour les grandes constructions universitaires. En plein boom depuis le début des années 2000, le campus lausannois, EPFL et Université comprises, devient-il l’enjeu d’un concours de beauté? Tout l’indique.

Début de l’aventure contemporaine en février 2010

Au fil des décennies, il y a déjà eu des gestes architecturaux, mais on peut dater le début de la course contemporaine vers les beaux objets au 22 février 2010. Ce jour-là, l’EPFL inaugure le Rolex Learning Center, construction d’un nouveau genre dans le paysage académique suisse. Pour la première fois, un sponsor, visiblement accolé au nom de la création, participe à grande échelle au tour de table. La marque horlogère ainsi que Logitech et Nestlé, entre autres, ont payé la moitié des 110 millions qu’a coûtés l’étrange volume en courbes et en vallons, imaginé par le bureau japonais SANAA.

Dans cette démarche, le financement n’était pas la seule innovation. Patrick Aebischer, alors président, a dit à tue-tête que cette nouvelle bibliothèque, sa fonction centrale, devait être le «totem» du campus. A l’heure de la bataille pour les cerveaux, d’une concurrence acharnée entre les universités d’Amérique, d’Europe et d’Asie, l’argument de l’esthétique du campus devient un outil dans la promotion de la haute école, dans son marketing.

En images: Une galerie photo au moment de l’ouverture

A Genève, le cas HEID

A Genève, c’est ce qui a motivé le choix, audacieux, de l’Institut de hautes études internationales et du développement. Son directeur Philippe Burrin a trouvé des soutiens divers, publics et privés pour bâtir la belle Maison de la paix et ses trois pétales de verre, ouverte en 2013. Comprenant aussi des agences des Affaires étrangères ainsi que divers bureaux, l’installation a instauré un nouveau modèle pour une école de ce type, non loin du quartier international.

Dans le paysage universitaire suisse, le site lausannois se démarque toutefois par son activisme dans les signatures architecturales. En raison de l’effet d’entraînement de l’EPFL, mais aussi parce que c’est le seul campus stricto sensu: un espace dévolu aux écoles, avec de généreuses surfaces en réserve.

Après le Learning Center, l’EPFL récidive en 2012 sur la structure du BI, l’ancienne bibliothèque, remaniée en couleurs par l’architecte vedette Dominique Perrault, qui enseigne dans la maison. L’ouvrage tranche résolument avec les tons gris des modules lunaires des premières époques de l’EPFL, ceux qui sont visibles depuis la ligne du M1. Plus tard, une autre œuvre de Dominique Perrault prend place non loin du BI, un édifice en volets métalliques.

Le quartier Nord de l’EPFL n’a peut-être pas une immense grâce visuelle – c’est selon les goûts –, mais il illustre aussi la nécessité de la construction pour aménager les diverses dimensions du campus – dans ce cas, au moyen de partenariats public-privé qui ont été critiqués par le Contrôle fédéral des finances.

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Entamé en 2013 par l’ouverture des logements étudiants, avec des commerces et restaurants, le complexe a connu son accomplissement dans l’ouverture du Centre de congrès de 3000 places. Dû au bureau lausannois Richter - Dahl Rocha, ce volume high-tech se présente, avec sa façade élancée à la manière d’un vaisseau spatial, comme la métaphore d’une époque, celle de l’expansion effrénée du campus.

L’Université n’est plus en reste

L’Université voisine fait moins de bruit, mais elle n’en croît pas moins. Anne-Catherine Lyon l’a raconté lors du dévoilement du projet pour les sciences de la vie: «Ces dernières années, nous avons à peine fini d’inaugurer un bâtiment ou de finir un concours que de nouveaux besoins se manifestent».

En 2012, l’alma mater ouvre le volumineux Géopolis (bureaux Itten + Brechbühl, Lausanne, et GWJ Architectes, à Berne), 120 millions de francs, 150 mètres de long installés dans les structures d’une ancienne usine de meubles, Leu. L’enveloppe, faite de plaques argentées et dorées, est remarquée par les automobilistes sur l’autoroute située à son pied, au Nord. Elle abrite les facultés des Sciences sociales et politiques ainsi que des Géosciences et de l’environnement.

A la fin de cette année, l’Université livrera aux fédérations sportives le Sinathlon, bâtiment fonctionnel situé vers l’Internef (Droit et HEC), qui devrait intensifier les liens entre les fédérations et les centres d’études du sport de la haute école.

Vortex, le vertige circulaire

Le plus audacieux est à venir, promettent les responsables de l’Université. En 2020, celle-ci ouvrira «Vortex», nom de code d’un projet tournoyant: un bâtiment rond, avec une large rampe hélicoïdale en son cercle intérieur. Il sera situé au nord de l’Amphimax, dans la zone Sorge, et est dessiné par le Zurichois Jean-Pierre Dürig.

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Vu du ciel, il sera aussi présent que le Learning center: l’un apparaît comme un bloc d’Emmental, l’autre en pur anneau dans les bois. Il hébergera les athlètes des Jeux olympiques de la jeunesse qui se tiendront en 2020 à Lausanne, puis sera repris par les instances universitaires pour offrir 1400 logements, dont 1200 pour les étudiants.

Enfin, dès 2021 pour la première tranche, viendra le temple vitré des sciences de la vie, juste devant l’Amphimax. A noter que non loin du campus, juste au nord de l’arrêt Unil-Dorigny, à l’est de la Bourdonnette, le canton de Vaud va construire son campus santé. Là, ce n’est pas l’Université, mais la Haute école spécialisée; mais là aussi, le concept a son poids. L’architecte zurichois Jan Kinsbergen a imaginé trois édifices en forme de rond, trait et croix. Le site prendra forme dès 2021, jusqu’à 2025. A terme, il comptera 1500 étudiants et 230 collaborateurs, et offrira 500 logements.

… et donc oui, c’est un concours de beauté

Y a-t-il donc concours de beauté sur le campus? Emmanuel Ventura, l’architecte cantonal vaudois qui a présidé plusieurs jurys récents dont celui du bâtiment des sciences de la vie, répond avec une franchise presque désarmante: «Oui. Cela a toujours été le cas.»

Il rappelle que le collège propédeutique, le premier bâtiment de l’Université sur le site de Dorigny en 1970 – aujourd’hui amphipôle –, a été classé et couvert de médailles. De même que la «banane», l’Unithèque, due au même architecte, forme emblématique de l’Université. La bibliothèque va d’ailleurs connaître, elle aussi, une importante rénovation, qui va déboucher sur des changements spectaculaires – ici, à l’intérieur. Selon Emmanuel Ventura, «il y a un concours de miss. C’est une stimulation importante pour un site universitaire.»

Rectrice de l’Université de Lausanne, Nouria Hernandez renchérit: «On parle souvent de la beauté du site de Lausanne. Mais il faut comprendre que cette beauté du campus, et celle des bâtiments que nous pouvons construire, représentent des arguments pour attirer des professeurs. Il s’agit d’arguments compétitifs.»

Pascal Broulis acquiesce – «la concurrence, par les concours, permet une réflexion» – tout en voulant préciser d’emblée: «Ces dernières années sur le campus, aucune construction n’a dépassé son budget.» Le prestige, mais avec les cordons de la bourse serrés.