Cédric Jotterand, champion de la presse vaudoise
Portrait
Le directeur et rédacteur en chef du «Journal de Morges» a fédéré 13 journaux de son canton afin de faire entendre la voix des médias régionaux dans un secteur en pleine crise

L’union fait la force, dit le proverbe. Telle pourrait être également la devise de Cédric Jotterand, directeur et rédacteur en chef du Journal de Morges. Il a réussi en quelques mois le tour de force de fédérer 13 petits journaux vaudois, des publications disparates, à vocation régionale comme La Broye, Le Régional et La Côte ou hyper-locales telles que Le Journal de Sainte-Croix et le Journal de Vallorbe. L’objectif est de donner une voix à cette presse vaudoise, qui représente un total d’une centaine d’emplois équivalents plein-temps et plus de 50 000 abonnés.
«Dans un contexte de crise des médias, nous devons nous serrer les coudes», plaide Cédric Jotterand. Il est impératif de gagner en visibilité, ainsi que de devenir un interlocuteur du canton et des communes.» Après une première rencontre au début du mois de décembre avec la présidente du Conseil d’Etat vaudois, Nuria Gorrite, le tout nouveau groupement des journaux vaudois devrait se constituer en association, en janvier peut-être déjà. «Nous avançons à petits pas, mais la volonté est là», souligne encore le patron du Journal de Morges.
«Nous étions invisibles»
Ce sont deux événements récents qui ont convaincu Cédric Jotterand de la nécessité de se regrouper. En février 2018 est publié le rapport de la commission du Grand Conseil vaudois qui fait suite au postulat «Pour un vrai soutien à la presse et aux médias» déposé une année auparavant après le choc provoqué par la fermeture du magazine L’Hebdo. A la lecture du texte, l’éditeur vaudois est frappé par une chose: les députés ont auditionné des membres de la direction des grands groupes, Tamedia et Ringier Axel Springer, mais aucun représentant de publications régionales. «Le rapport ne prend donc pas en compte la réalité des petits journaux. J’ai pris conscience que nous étions invisibles aux yeux des décideurs politiques.»
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Quelques mois plus tard, en mai, la faillite de la régie publicitaire Publicitas provoque une onde de choc dans la presse suisse, en particulier régionale. Pour certains, les pertes sont énormes. «Il y a eu une réunion organisée par un nouveau prestataire. Nous sommes arrivés peu préparés et divisés. Chacun cherchait une solution dans son coin… On ne peut plus continuer comme ça et attendre que nous soyons tous morts pour réagir.» A l’automne, Cédric Jotterand invite donc les journaux de la presse locale et régionale vaudoise à une première réunion à Tolochenaz. L’idée prend forme. L’ensemble des acteurs rejoindront le mouvement.
Passion du football
Rien ne prédestinait pourtant Cédric Jotterand, employé de commerce de formation, à devenir éditeur et à prendre la tête d’un groupe de petits journaux. Si ce n’est une passion dévorante pour le football qui va l’amener au journalisme. En 1988, à 14 ans seulement, le jeune Cédric Jotterand parcourt déjà les terrains du canton, signant des piges dans les pages sportives du Journal de Morges. Une activité qu’il continuera de mener à côté de son apprentissage au Service des impôts.
Dans un contexte de crise des médias, nous devons nous serrer les coudes
L’année 1994 et l’engouement entourant la participation de l’équipe de Suisse à la Coupe du monde aux Etats-Unis vont donner le véritable coup d’envoi de sa carrière. L’emblématique président du Servette FC, Paul-Annick Weiller, fonde alors un nouveau magazine sportif romand, Match Mag. Cédric Jotterand est engagé avec la mission de couvrir le football vaudois. «C’est une période faste pour les équipes du canton, Lausanne-Sport est encore au sommet, Yverdon vient d’être promu en Ligue A, un jeune entraîneur nommé Lucien Favre réalise des exploits avec Echallens, Nyon cartonne, se souvient celui qui se retrouve du coup très demandé. Je réalisais des reportages pour plusieurs autres médias, de la Tribune de Genève à Radio Framboise [l’ancêtre de Rouge FM, ndlr].»
Un rêve de gamin
Cédric Jotterand se fait remarquer. Il rejoint d’abord Le Matin, chargé de la rubrique vaudoise, puis 24 heures en tant que correspondant pour la région de Morges. Un rêve pour ce gamin d’Apples attaché à son coin de pays. «Je ne voyais pas plus loin, jusqu’en 2006, où l’on me propose de reprendre la rédaction en chef du Journal de Morges. Un défi, d’autant plus que le titre ne cessait de perdre des lecteurs. Il fallait inverser la tendance.» Le journaliste reprend officiellement les rênes du journal le 1er janvier 2007.
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Sept ans plus tard, en septembre 2014, alors que l’hebdomadaire vient d’organiser une grande fête populaire pour ses 120 ans d’existence, le groupe Tamedia annonce de manière abrupte sa volonté de se séparer de ses trois titres régionaux de Suisse romande, dont le Journal de Morges. Pour Cédric Jotterand, c’est une évidence, il faut sauver le journal. Il réunit des personnalités de la région morgienne et fait une première offre au groupe zurichois. Celle-ci est balayée. «Nous avions eu peu de temps, nous n’étions pas prêts», reconnaît le Vaudois. Il ne baisse pas les bras. Deux ans plus tard, le 1er novembre 2016, il parvient finalement à racheter la publication, une opération qui se fera en plusieurs étapes. Cédric Jotterand en est aujourd’hui l’unique propriétaire.
Transition vers le numérique
Autour de ce sauvetage, l’élan de soutien de la région est sans précédent. La grande majorité des communes offrent un soutien financier; la ville de Morges octroie un prêt sans intérêts de 150 000 francs, aujourd’hui déjà remboursé. Le nombre d’abonnés bondit de 10% pour dépasser les 6000. «Il y a eu une volonté de la population de resserrer les rangs, de conserver ce support pour les informations régionales», se réjouit Cédric Jotterand. Et s’il croit plus que jamais à la version papier d’un journal, «celui que l’on pose sur la table du salon», il n’en demeure pas moins ouvert au développement sur internet. «C’est également dans ce domaine du numérique qu’une association des petits journaux est intéressante, pour, non seulement défendre ses intérêts, mais aussi synergiser ses forces afin de se projeter dans l’avenir.»