Le «vieux lion» n’est plus. L’ardent protecteur de la nature Franz Weber est décédé dans la soirée de mardi à Berne à l’âge de 91 ans, a annoncé sa fondation ce jeudi. Atteint de démence sénile, il vivait depuis deux ans dans un foyer pour personnes âgées, où il avait trouvé une certaine sérénité après des années d’âpres luttes. Avec sa disparition, la Suisse perd «le pionnier de la cause pour l’environnement», selon les mots de sa fille Vera, qui confie avoir perdu autant un père qu’un guide. «Il a fallu un Franz Weber et ses colères sacrées pour réveiller les consciences», poursuit celle qui a repris les rênes de la Fondation Franz Weber il y a près de cinq ans.

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Le Bâlois d’origine, installé à Clarens dans le canton de Vaud depuis 1974, laisse le souvenir de combats homériques, dont les plus connus demeurent la défense des bébés phoques au Canada avec son amie l’actrice Brigitte Bardot ou le sauvetage du vignoble de Lavaux, dont il aimait comparer la beauté à celle de «L’hymne à la joie» de Beethoven. Dès les années 1960, à une époque où l’écologie n’est de loin pas encore à la mode, le militant bouscule une Suisse engoncée dans son conformisme, au seul nom de la nature. «Il va s’opposer violemment à l’élite bourgeoise de l’époque, présomptueuse et sûre de son pouvoir», se souvient son ami Philippe Roch, ancien directeur du WWF et de l’Office fédéral de l’environnement.

Energie débordante

Dans un pays où la discrétion a été érigée en vertu, le bouillant militant fait des vagues, personnifiant à outrance ses luttes. Tel Winkelried, il va attirer sur lui toutes les attaques, les haines, mais aussi l’admiration. Son engagement est total. «Il a osé prendre des risques, se mettre en danger, même physiquement, il sera arrêté par la police, décrit encore Philippe Roch. Il symbolise une forme de résistance civile.» Eternel révolté, Franz Weber s’engageait avec ses tripes. Avec lui, il n’y avait ni compromis, ni collaboration. «Il y avait certes chez lui une énergie émotionnelle débordante, mais son argumentation était avisée. Fin stratège, il réfléchissait vite et savait toujours quand porter l’estocade», nuance l’éditeur Slobodan Despot, qui fut son porte-parole entre 2004 et 2005.

Cette indignation constante, l’homme la puise dans un drame intime. Alors qu’il a 10 ans, sa mère décède des suites d’une erreur médicale. Son père ne pouvant surmonter son chagrin et n’arrivant pas à s’occuper seul de ses sept enfants, le jeune Franz Weber est placé en foyer. «C’est dans cette injustice et cette souffrance précoces qu’il a développé son infatigable combativité», racontera sa fille Vera au magazine L’illustré à l’occasion des 90 ans de son père. Aujourd’hui, elle confirme qu’il lui a toujours été impossible d’accepter la souffrance d’un animal ou la dégradation d’un paysage.

Jeune homme mondain

Paradoxalement, Franz Weber a vécu une première partie d’existence des plus mondaines, montant à Paris à l’âge de 19 ans. Nous sommes en 1949, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le jeune homme rêve de devenir écrivain et étudie à la Sorbonne. Il côtoie le Tout-Paris, Jean Cocteau, Eugène Ionesco, Jean Gabin ou Charles Aznavour et gagne sa vie comme chroniqueur de mode pour différents magazines. Il réalise des reportages people avec Michèle Morgan ou Farah Diba, l’impératrice d’Iran. Avec un souci de l’élégance qui ne le quittera jamais, Franz Weber est alors l’un des premiers à adopter le col roulé, qui donne selon lui «un air cent fois plus jeune et racé que les cravates».

C’est en 1965 que le Vaudois va quitter une vie de facilités pour une vie de luttes. L’histoire a retenu que lors d’un séjour en Haute-Engadine sur les traces de Nietzsche, cet amoureux de la poésie se retrouve hypnotisé par la splendeur de Surlej, un hameau isolé, posé à un jet de pierre de Silvaplana. Apprenant que la vallée des lacs miroirs, «quintessence de la beauté et de la pureté», est menacée par un colossal projet immobilier visant à installer 25 000 personnes, il se jure de protéger ce joyau. Par sa détermination, Franz Weber parvient à faire reculer les promoteurs. La révolte devient révélation. L’homme ne sera plus jamais le même.

«Ayatollah» pour les uns, sauveur pour les autres

En 1975, Franz Weber crée à Montreux une fondation qui porte son nom. Quatre ans plus tard, il fonde la Cour internationale de justice des droits de l’animal. Il multiplie les batailles, entre autres contre le commerce de l’ivoire ou la corrida. On en dénombre plus de 150 au total. En Suisse, il s’oppose à des constructions dans le val d’Anniviers ou à la bretelle de la Perraudettaz près de Lausanne. Pour certains, il est l’«ayatollah» de la cause écologiste. Pour d’autres, Franz Weber devient le dernier recours. Il est ainsi appelé en France pour sauver Les Baux-de-Provence de l’exploitation de mines de bauxite par un géant industriel.

L’une de ses victoires les plus retentissantes aura lieu en Grèce. Le Suisse va réussir à empêcher l’édification d’une usine d’aluminum qui menace le site antique de Delphes. Avec culot et panache, il n’hésite pas à interpeller directement Mikhaïl Gorbatchev, vu que le projet est alimenté par des fonds russes. En 1997, le sauveur de la ville sera fait citoyen d’honneur par la cité d’Apollon. «Il avait autant de vénération pour une œuvre réalisée par la main de l’homme que pour une œuvre de la nature, insiste Slobodan Despot. En cela, il se distinguait de nombreux écologistes qui ont tendance à mettre l’environnement au premier plan.»

«Grandes figures du XXe siècle»

Pour Slobodan Despot, il ne fait aucun doute que Franz Weber demeurera comme l’une des grandes figures suisses du XXe siècle. «Pour s’en convaincre, il suffit tout simplement de se poser sur les bords du lac Léman et d’imaginer comment serait le paysage si cet homme ne s’était pas battu contre le bétonnage de Lavaux», un vignoble aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Son dernier combat, l’écologiste le mènera en 2012, réussissant à faire adopter à la surprise générale l’initiative populaire visant à limiter les résidences secondaires en Suisse. Une fois encore, il sera seul contre tous, personnifiant à tel point la votation que l’on finira par parler de la Lex Weber.

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Une grande cérémonie publique en son honneur aura lieu au début de l’été au Grandhotel Giessbach, perché sur les hauteurs du lac de Brienz, un établissement historique sauvé de la démolition en 1984. Aujourd’hui, Philippe Roch n’a qu’un regret, «que ces milliers de jeunes qui descendent dans la rue pour manifester pour le climat et l’environnement n’aient pas mieux connu, pour s’en inspirer, cette grande figure tutélaire».