Événement
En janvier 2020, Lausanne accueillera 1880 jeunes sportifs venus du monde entier. Les retards inquiétants ainsi que la mauvaise coordination du dossier pourraient indirectement porter préjudice au projet de Sion 2026

Sur l’esplanade du Flon à Lausanne, des chiffres rouges défilent sur une horloge Omega «chronométreur officiel des Jeux olympiques de la jeunesse», au fur et à mesure que le temps s’égrène. Dans moins de deux ans, 1880 jeunes de 15 à 18 ans issus de 70 nations viendront se mesurer les uns aux autres dans ce qui se veut le petit frère des Jeux olympiques.
Mais dans tout le canton – voire au-delà – des voix discordantes s’inquiètent du retard pris par Lausanne 2020 et doutent de sa bonne organisation. Manque de structure et de conditions-cadres, mauvaise communication, turnover dans l’équipe: les méthodes du directeur de l’événement Ian Logan, auparavant chargé du grand meeting aérien Air14 à Payerne, ne font pas l’unanimité.
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Nous faisons face à un manque de conditions-cadres de la part du comité d’organisation
Sergei Aschwanden, directeur de la structure touristique de Villars, Les Diablerets, Bex et Gryon, qui accueillera les épreuves de skicross, de boardercross et de ski alpinisme, le dit ouvertement: «Nous avons l’habitude d’organiser des manifestations, nous avons même des bénévoles à disposition. Mais nous faisons face à un manque de conditions-cadres de la part du comité d’organisation. Quels sont leurs besoins, que devons-nous préparer, quelles sont leurs volontés? Je leur ai fait part de mon inquiétude. Nous sommes dans une sorte de flottement.»
Par effet de ricochet, les atermoiements de Lausanne 2020 pourraient mettre en danger la candidature Sion 2026, tant il est vrai qu’une mauvaise gestion des Jeux de la jeunesse serait un terrible coup de canif dans le mythe de la bonne organisation helvétique, d’autant plus dans la ville hôte du CIO. Voici le tour d’horizon des dossiers qui fâchent.
1- Des sites mal pilotés
Les sept sites accueillant les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) sont théoriquement répartis dans le canton pour la plupart, en France voisine et en Valais pour deux d’entre eux. Mais à moins de deux ans de l’événement, le flou demeure encore sur l’attribution définitive des lieux où se dérouleront les épreuves.
La région lausannoise accueillera les athlètes en résidence dans le Vortex, sur la commune de Chavannes-près-Renens, ainsi que les épreuves de patinage artistique, de hockey sur glace et de short track dans la nouvelle patinoire de Malley. «Ce sont les deux seuls projets qui avancent dans les délais sans poser de problèmes, confie une source préférant conserver son anonymat. Vous savez pourquoi? Parce qu’ils sont gérés par un chef de projet unique et chapeauté par le canton. C’est la limite de confier des éléments si importants à des communes si disparates.»
Il manque, explique la même source, un véritable pilote pour les sites. «La répartition des compétences a été laissée aux communes. C’est un problème de structure.» Il y a aussi un souci d’équipe: «Les collaborateurs autour de Ian Logan proviennent essentiellement de milieux sportifs, et ne sont donc pas au courant des normes légales, ni des exigences environnementales, administratives ou territoriales.»
Certains politiciens commencent à douter du fait que Ian Logan puisse aller au bout de son mandat; une interpellation a été déposée le mois dernier au Grand Conseil vaudois pour souligner les incertitudes sur l’avancée du projet.
2- Une équipe d’organisation sous pression
Au sein de la petite équipe de travail chargée de l’organisation des JOJ, le turnover est particulièrement élevé. Depuis deux ans, plusieurs démissions et quatre licenciements avec effet immédiat sont survenus. Dans une équipe de 8 à 10 personnes, c’est beaucoup. «La pression est extraordinairement intense», confie l’un d’eux. «Notre disponibilité doit être totale, que ce soit en week-end ou en soirée. Les nombreuses heures supplémentaires de travail ne peuvent être rattrapées et ne sont pas payées. Parfois, Ian Logan nous demande d’effectuer en quelques heures un travail durant la nuit.»
Un autre membre de l’équipe partage ses impressions sur ce colonel de l’armée chargé par le comité exécutif des Jeux olympiques de la jeunesse de mener ce projet à bien. «Il a beaucoup d’énergie et une bonne vision du projet. Mais il agit sur nous comme un gourou: si on ne l’admire pas, il nous vire. Je ne parle pas de respect, je parle vraiment d’admiration. Il veut tout contrôler, ne délègue rien et empêche même les sites d’avancer, tant qu’il ne peut pas gérer leur travail.»
3- Des rivalités entre les villes
Dans les communes des sites préposés à accueillir les épreuves sportives, les cœurs balancent entre la fierté de faire partie de la grande manifestation et les inquiétudes liées aux dépenses supportées par les habitants locaux.
Il y a un mois, Morges renonçait finalement à accueillir les épreuves de curling, nécessitant des transformations de la patinoire à plus d’un million pour une poignée de jours de compétition. Sautant sur l’occasion, l’Association lausannoise de curling en a profité pour rappeler son intérêt à participer aux Jeux et souligner que la manifestation s’appelant «Lausanne 2020», la ville n’accueillait en vérité aucune épreuve sportive.
Son président Bertrand Dousse garde aujourd’hui en travers de la gorge la manière dont le choix s’est porté sur Champéry, en Valais. «Nous avons toujours manifesté notre intérêt à accueillir le curling au sein de la Nautique, à Ouchy. En 2016, nous avons rencontré les organisateurs des JOJ qui se sont montrés sceptiques parce que notre bâtisse, qui devait être rénovée, ne serait pas prête pour 2020 et que de toute façon ce serait Morges.»
Notre site, qui représente le berceau du curling olympique, aurait été idéalement situé entre le siège du CIO et le Musée olympique
«Un an plus tard, le permis de construire en main, nous sommes retournés les voir et comme Morges, qui avait été désignée, semblait hésiter, nous avons réitéré notre intérêt. Mais nous avons toujours joué fair-play. Lorsque nous avons appris que Morges se retirait et que ce serait Champéry, nous avons été déçus de la manière dont on nous avait ignorés, car c’était trop tard. Notre site, qui représente le berceau du curling olympique, aurait été idéalement situé entre le siège du CIO et le Musée olympique.»
Et il ajoute, amer: «Les valeurs olympiques prévoient des installations durables, la nôtre aurait permis aux Lausannois et aux Vaudois d’avoir une installation optimale pour les quarante prochaines années.»
Une compétition encore adolescente
Les Jeux olympiques de la jeunesse revendiquent une forte dimension éducative et culturelle. Fondés il y a moins de dix ans par le CIO, ils sont une vitrine de l’olympisme auprès des jeunes qui se cherchent encore
«Les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) sont une manifestation sportive de haut niveau ouverte aux adolescents du monde entier. Ils intègrent également un programme culturel et éducatif, lequel se concentre sur cinq thèmes: olympisme, responsabilité sociale, développement de compétences, expression et bien-être et styles de vie sains.»
C’est ainsi que le Comité international olympique (CIO) décrit les JOJ sur son site officiel. Leur histoire est très courte: la première édition a eu lieu en 2010 à Singapour. Nés sous l’impulsion du président du CIO de l’époque, le Belge Jacques Rogge, ils s’inspirent de rassemblements similaires organisés dans les années 1990, comme le Festival olympique de la jeunesse européenne.
Médiatisation et ferveur plus modestes
Comme pour leurs aînés, les JOJ ont lieu tous les deux ans, alternant joutes d’été et joutes d’hiver, et sont destinés à des athlètes de 15 à 18 ans. Les Jeux lausannois constitueront les troisièmes JOJ d’hiver et les sixièmes en tout. Buenos Aires accueillera cette année l’édition d’été.
Leur envergure sportive est assez proche de celle des JO: Lausanne 2020 verra s’affronter 1880 athlètes de 70 nations différentes, contre 3000 athlètes de 92 pays à Pyeongchang. La médiatisation et la ferveur qui entourent les JOJ sont par contre bien plus modestes.
En 2007, Jacques Rogge avait pourtant beaucoup d’ambition pour cette manifestation: maintenir la popularité des JO, susciter l’intérêt des jeunes pour le sport et endiguer la croissance de l’obésité dans les pays développés. Or, les jeunes sportifs d’élite ne souffrent a priori ni de sédentarité ni d’obésité, et la portée symbolique des JOJ auprès de l’adolescent moyen est très relative.
Peu de nouveautés
On peut aussi se demander si le programme sportif est le plus à même de remplir sa mission de promotion du sport: de nombreuses disciplines olympiques peinent à intéresser les nouvelles générations, et le CIO rechigne à utiliser les JOJ comme un véritable laboratoire d’exploration: à Lausanne, sur les 16 disciplines prévues, on retrouvera les 15 disciplines inscrites au programme des JO d’hiver, avec pour unique nouveauté le ski-alpinisme.
Quant au fameux programme culturel et éducatif, qui comprend des stands traitant de prévention des blessures, de fair-play ou encore d’expression, il ne semble pas totalement adoubé par les champions en devenir: en 2016 à Lillehammer, certains athlètes, comme la skieuse Mélanie Meillard, affirmaient préférer s’entraîner plutôt que d’y prendre part.
Quentin Jeannerat